Statut d’agricultrice : le long chemin de la reconnaissance
Les femmes représentent un tiers des actifs de l’agriculture. Au fil des années, les évolutions législatives ont permis une reconnaissance de leur statut. Ce 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, est l’occasion de les mettre en lumière.
Les femmes ont toujours contribué à faire tourner les exploitations agricoles. Officiellement néanmoins, elles sont longtemps restées dans l’ombre. Il n’y a que peu de temps que celui-ci est légitimé économiquement, socialement et juridiquement.
En 2019, l’Insee recensait 400.000 agriculteurs exploitants, dont 27 % sont des femmes. En tout, elles sont plus d’un demi-million à travailler dans l’agriculture : plus de 100.000 cheffes d’exploitation ou d’entreprise agricole, près de 30.000 collaboratrices d’exploitation et environ 380.000 salariées dans la production agricole. Les cheffes d’exploitation exercent principalement leur activité dans le secteur de l’élevage bovin-lait (17 %), les cultures céréalières et industrielles (16 %) et les cultures et élevages non spécialisés (13 %). Les évolutions législatives comme la mise en place du statut de conjoint collaborateur, l’autorisation de créer des Gaec entre époux, ou encore l’extension de la couverture sociale pour les conjointes d’exploitants, ont permis une reconnaissance du statut des femmes dans le milieu agricole. Quant aux salariées de la production agricole, elles sont 83,5 % à être employées en CDD. D’après le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, «en CDI, les femmes ont des temps de travail inférieurs aux hommes du fait notamment du temps partiel et leurs niveaux de rémunérations horaires sont également inférieurs, surtout aux postes d’encadrement». L’enseignement agricole continue à lutter contre les stéréotypes en proposant une offre variée de filières d’orientation, en aidant les élèves à développer un regard critique et avec des formateurs sensibilisés à l’intégration des filles dans toutes les filières... «Les femmes peuvent apporter de nouvelles compétences, une vision différente quant à la conduite de l’exploitation et en proposant une diversification des activités : vente en circuits courts, transformation des produits, hébergements touristiques, activités de loisirs... Elles sont également souvent plus engagées dans l’agriculture biologique.» Les jeunes exploitantes agricoles sont généralement plus diplômées que les hommes de la même classe d’âge et ont des parcours plus diversifiés. Toujours d’après le ministère, «aujourd’hui, l’enseignement agricole, c’est plus de 45 % de filles, avec de grandes disparités en terme de filières et de niveau.»
Le congé maternité : dernier acquis
La dernière avancée pour les agricultrices a été actée il y a deux ans : la LFSS (loi de financement de la sécurité sociale) pour 2019 a ouvert aux exploitantes agricoles, à compter du 1er janvier 2019, la possibilité de bénéficier d’indemnités journalières en cas de maternité, lorsqu’elles n’ont pas la possibilité de se faire remplacer. La durée minimale d’arrêt pour les congés maternité passe à huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les exploitantes agricoles, dont deux semaines de congé prénatal, à l’instar de celle qui s’applique aux salariées pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation de leur congé maternité
Un groupe pour donner la parole aux femmes
Le groupe féminin du Cernodo (GDAF Bray Picard) est un groupe de femmes travaillant en milieu rural, très dynamique, qui se réunit régulièrement pour se former sur de nombreux sujets en lien avec l’agriculture, mais aussi le territoire.
Présidente du Cernodo, Marie-Pierre Crosnier, agricultrice à Saint-Omer-en-Chaussée, préside l’un des groupes féminins du Cernodo, le GDAF Bray Picard. Installée depuis 2005, elle participe à ce rassemblement depuis près de 15 ans. «Il faut dire que ce groupe féminin existe depuis 25 ans.» dit-elle en souriant. Au sein de ce groupe, 18 agricultrices échangent et se forment pour se développer dans ce milieu très masculin. «L’idée est d’aborder toutes les problématiques de la vie d’une agricultrice et de femme d’agriculteur, que ce soit professionnel ou bien transversal dans le développement. L’objectif est de se réunir une fois par mois, une demi-journée ou bien la journée entière afin de se former pour monter en compétence. On fait appel à des formateurs très divers. Tous les ans, on essaye de faire une formation de deux jours délocalisée», explique Marie-Pierre Crosnier. Relationnel avec le banquier, gestion de la trésorerie, relation avec les assurances, prévention des risques, l’optimisation fiscale, gestion dans les grandes cultures ou l’élevage… les thématiques sont très variées.
Par ailleurs, les membres du groupe ont développé de nombreuses initiatives dans le domaine des relations humaines, au travers de différentes interventions sur la thématique du développement personnel. «Il faut être bien dans sa tête pour être bien dans sa ferme. Ce groupe, parmi tant d’autres, permet d’avoir du soutien. Ce n’est absolument pas ringard de faire partie d’un groupe de femmes, il faut enlever ce stéréotype. Il est plus simple de parler de sa vulnérabilité entre nous. On ne s’interdit rien en formation. Dans ce groupe, on trouve tous types de femmes agricultrices (éleveuses de poules, de vaches, de porcs, agricultrices en grandes cultures…) Le but est de trouver sa place dans l’exploitation en diversifiant une activité, par exemple, propre à l’agricultrice.» affirme-t-elle. Mais le Cernodo a toujours mis la femme sur un piédestal. Dans les années 60, l’élevage prenait énormément de place dans le territoire. Dès lors, la comptabilité, un secteur où la main-d’œuvre était féminine, était tenue par les femmes dans la ferme sans statut professionnel. En faisant partie des groupes feminins, à l’époque appelés Cetaf (Centres d’études techniques agricoles féminins), elles se sont battues afin que les femmes soient reconnues dans le milieu agricole. «Dès lors, faire partie d’un groupe feminin aide et forme énormément. On peut constater que, lors des réunions de betteraviers, il y a 15-20 ans, on ne voyait aucune femme. Désormais, on peut en apercevoir quelques-unes. Même son de cloche en grandes cultures. En élevage, par contre, on remarque de plus en plus de femmes. Mais lors de la transmission, on ne pense pas aux filles en premier. De plus, il faudrait adapter certains matériels aux femmes... Le fait de mettre une prise de force est difficile ou bien tout simplement soulever une barrière… Il y a encore une pénibilité physique, mais il y a eu énormément de progrès sur le plan social.» souligne Marie-Pierre Cosnier. Deux jeunes agricultrices de l’Oise vont créer un nouveau groupe féminin au sein du Cernodo. Leur but est de savoir comment il est possible de s’investir dans le territoire. Elles auront le choix du fonctionnement du groupe : actions sur le territoire, formations, lieu d’échanges… Au total, le Cernodo comptera désormais 14 groupes feminins.
L’atout féminin de l’équipe Somat
Xavier Beaufort, directeur général de Somat, concessionnaire Massey Ferguson en Picardie, n’a pas hésité à recruter du personnel féminin dans des postes jusque-là réservés aux hommes. Même le machinisme agricole ne résiste pas à la féminisation !
Suzie Baldwin a 35 ans et est originaire de la région. Après avoir été assistante de gestion PME-PMI dans le secteur de la location automobile, elle s’est lancé un nouveau challenge. «J’ai toujours eu un goût pour la mécanique et là, je voulais sortir de ma zone de confort et me frotter à un milieu que je ne connaissais pas». Elle a posé candidature pour prendre en charge l’offre de location Somat et a finalement été choisie par Xavier Beaufort. «Je crois que je n’étais pas la seule femme à postuler. Je suis ainsi arrivée au siège de Glisy en octobre 2020 où je dois développer le service qui propose la location de tracteurs Massey Ferguson, de télescopiques, de déchaumeurs, broyeurs…» Elle travaille sur toutes les bases de la concession, avec des besoins de clients différents en termes de puissance et de matériels selon les secteurs.
Mélanie Goes a quant à elle 24 ans, elle est fille d’agriculteurs de la Somme et envisage à l’avenir de reprendre l’exploitation familiale de grandes cultures avec un atelier de poules pondeuses. Après un baccalauréat technologique en STAV (sciences et technologies de l’agronomie et du vivant), elle a poursuivi avec un BTS productions végétales à l’issue duquel elle a cherché du travail. «Depuis toute petite, je conduis les Massey Ferguson de la ferme et c’est tout naturellement que j’ai envoyé une candidature spontanée à la Somat. J’ai été reçue, mais c’était finalement pour un poste de démonstratrice et pas de standardiste comme je m’y attendais !», rit-elle encore. Son poste, qu’elle occupe depuis juillet 2017, consiste à préparer le matériel et à l’emmener chez les clients qui veulent l’essayer pour une demi ou une journée entière. «De même, c’est moi qui livre le matériel acheté chez les clients et les mets en route en leur en expliquant toutes les fonctionnalités», détaille-t-elle.
Surprise et bienveillance
Suzie Baldwin et Mélanie Goes témoignent de la surprise des clients qui ne s’attendent pas à avoir affaire à des femmes dès qu’il s’agit de tracteurs, d’hydraulique ou de mécanique. «Tous font preuve d’une grande bienveillance lorsqu’ils voient que nous sommes des interlocutrices crédibles et motivées. Nous n’avons jamais subi aucun a-priori, ni entendu de remarque». L’équipe commerciale les a également bien accueillies : «les agriculteurs louent parfois le matériel avant de se lancer dans une acquisition, l’offre de location est complémentaire à la vente.»
Suzie Baldwin ajoute : «au contact des clients et de mes collègues de l’atelier, j’en apprends tous les jours sur les tracteurs et les autres matériels. Je m’implique fortement car la pleine saison de location va démarrer avec le printemps. Je me concentre beaucoup sur le parc existant, 25 tracteurs, 7 télescopiques, 2 épandeurs à fumiers, des déchaumeurs à disque sou à dents, des broyeurs... J’ai participé aux journées de découverte ou de démonstration, comme par exemple celle sur le 8S, le dernier modèle de Massey Ferguson.» Elle doit également gérer le planning de location et les contrats de location : bases, durée, conditions financières, assurance… et bientôt l’état du matériel en début et fin de location, «quand je serai suffisamment formée».
Quant à Mélanie, il y a tout juste deux semaines, elle vient de prendre le poste de commerciale sur la zone Amiens Nord, le secteur Albert-Doullens-Flixecourt. «C’est une nouvelle aventure pour moi. Heureusement, je connais déjà bien les produits que nous vendons ainsi qu’une partie de la clientèle que j’ai rencontrée lors des démonstrations. Je vais continuer à me former pour répondre à ce nouveau défi», assure-t-elle.
Suzie Baldwin et Mélanie Goes complètent ainsi une équipe déjà féminisée dans des fonctions autres que support, avec Jeanne Gaffet, assistante de communication, et Clarisse Gosset, commerciale sur le secteur de Ham. Le machinisme agricole, dernier bastion masculin, serait-il en train de tomber ? Réponse positive chez Somat.
Les opinions emises par les internautes n'engagent que leurs auteurs. L'Oise Agricole se reserve le droit de suspendre ou d'interrompre la diffusion de tout commentaire dont le contenu serait susceptible de porter atteinte aux tiers ou d'enfreindre les lois et reglements en vigueur, et decline toute responsabilite quant aux opinions emises,