Les plans loup et lynx scrutés de près par la profession agricole
Réintroduit en France dans les années quatre-vingts, le lynx boréal bénéficie pour la première fois d'un plan national d'actions pour une période de cinq ans. Le PNA lynx 2022-2026, dont l'objectif premier est de restaurer et conserver la population du grand félin sur le territoire français, est minutieusement observé par la profession agricole. Elle s'inquiète d'une réintroduction de l'espèce sur des territoires déjà fragilisés par la prédation du loup.
Après avoir disparu pendant plus de trois siècles en France (entre le XVIIe et le début du XXe siècle), le lynx boréal a été réintroduit dans le Jura suisse dans les années 1970, puis en France à partir de 1983. Ce grand félin, qui se nourrit essentiellement de chevreuils et de chamois et d'autres mammifères sauvages, est une espèce protégée à l'échelle européenne par la Convention de Berne et la directive Habitat, comme au niveau national par l'arrêté ministériel du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire ainsi que les modalités de leur protection.
Le plan lynx en cours de finalisation
Le tout premier plan national d'actions en faveur du lynx boréal est en cours de finalisation et sera effectif pour une durée de cinq ans jusqu'en 2026. «Son entrée en phase opérationnelle est désormais attendue dans le courant du premier trimestre 2022. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a donné mandat au préfet de la Région Bourgogne-Franche-Comté pour coordonner et animer le PNA lynx dès août 2018, date à compter de laquelle les travaux d'élaboration ont démarré», indique la Dreal Bourgogne-Franche-Comté. À la différence du plan loup principale-ment centré sur les activités d'élevage, «le plan lynx traite plus largement l'ensemble des actions tournées vers un objectif de restauration et de conservation du lynx», soulignent les services de l'État. Si son retour naturel par la Suisse a permis une recolonisation progressive du massif du Jura, puis le Nord des Alpes, la régression de son aire de présence régulière dans le massif des Vosges a conduit à revoir sa tendance de population qui est passée d'«augmentation» à «diminution», ce qui lui a valu une inscription sur la liste rouge des espèces menacées en France de l'IUCN en 2017.
Des engagements du préfet Sudry
Malgré ce constat, le massif jurassien, qui concentre le noyau dur de la présence du lynx en France (80 % de la population française environ), arrive à saturation. Le lynx a déjà été observé dans plusieurs départements ces dernières années : dans le Revermont (Ain), le Vercors (Isère), le Diois (Drôme), le Beaujolais (Rhône), dans le massif des Bauges et le massif des Aravis près de Rumilly (Haute-Savoie) ou encore dans le massif de la Chartreuse (Savoie). Sur les vingt dernières années en France, la population de lynx avoisine les 140 individus par an, engendrant, d'après les chiffres de l'OFB, quelque 90 attaques annuelles indemnisées.
Référent national du plan lynx à la FNSEA, Guy Scalabrino a participé aux différents comités de pilotage (Copil) organisés pour structurer ce premier plan lynx. «Sur la forme, avec les différentes parties prenantes (cinq organisations agricoles sur 29 au total), nous étions partis sur un plan de dix ans, ce qui nous paraissait tout à fait correct pour observer l'évolution de la population, apprécier son état de conservation et avoir des statistiques sur un temps convenable. Cette durée a été ramenée à cinq ans, ce qui n'est pas pour nous réjouir, souligne l'éleveur de vaches laitières du Haut-Doubs. Au fil des mois, la position des associations de protection de l'environnement a évolué, évoquant le renforcement des populations. Début juin, on a claqué la porte d'un Copil. Nous avons par la suite obtenu un rendez-vous avec le préfet de région Bourgogne-Franche-Comté coordonnateur du plan lynx, Fabien Ludry, qui s'est engagé à ne pas réintroduire d'individus ni à remplacer des lynx accidentés sur ces cinq premières années.» Le dernier comité de pilotage a eu lieu le jeudi 3 février. «Nous ne savons pas comment les choses se passeront par la suite, mais nous tenons à être présents dans chacune des commissions de travail organisées.»
Moyens de protection et indemnisations
Les attaques de lynx sur les animaux d'élevage, essentiellement moutons et chèvres, sont indemnisées au même titre que celles du loup et de l'ours. En clair et pour faire simple : l'éleveur peut être indemnisé au bout de cinq attaques en deux ans, à condition qu'il ait mis en place des mesures de protection. «Nous avons demandé au préfet Sudry de revenir sur cette mesure car elle n'est pas adaptée aux pratiques d'élevage. Certains lynx déviants peuvent causer chez un seul et même éleveur une dizaine d'attaques sur un an sans qu'il ne soit indemnisé. On constate aussi que les patous et les clôtures électriques ne sont pas adaptés à ce félin qui peut se rendre presque invisible et qui est capable de sauter très haut... Nous souhaitons que cette jauge de 5 attaques soit relevée à 10-15 attaques. Le préfet s'est engagé à soutenir nos propositions», souligne Guy Scalabrino. Alors,qu'à la différence du loup, aucune autorisation de tir n'existe pour le lynx, il n'existe pas non plus à ce jour d'estimation officielle de la population de lynx, mais un simple «suivi de l'évolution des aires de présence régulière et occasionnelle», indique-t-on à la Dreal BFC. La profession demande la mise en place «de moyens de comptage plus précis et plus denses pour repérer plus facilement les lynx déviants». Quant au financement des moyens de protection, aucun crédit spécifique ne devrait être alloué par le ministère de la Transition écologique dans le cadre du plan lynx 2022-2026. Les filets de protection ou autres dispositifs d'effarouchement, qui s'avèrent compliqués à mettre en oeuvre à proximité des zones d'habitation, se baseront sur la mise en place de crédits d'urgence et d'aides européennes (Feader).
Alain Laurent, président de l'Observatoire des carnivores sauvages
«Le lynx est encore plus discret et subtil que le loup»
Vous avez été pendant dix ans animateur du réseau loup-lynx pour la Bourgogne-Franche-Comté à l'ONCFS (aujourd'hui OFB). Vous êtes actuellement président de l'Observatoire des carnivores sauvages. Tout d'abord, en quoi consiste votre travail ?
Nous sommes une équipe de naturalistes de terrain. Nous réalisons un travail d'observation et de pistage du loup gris, du lynx boréal et du chat forestier. Notre périmètre d'observation s'étend du massif vosgien jusqu'à l'extrême nord du massif jurassien, soit environ une trentaine de kilomètres entre Belfort et Mulhouse. Il faut savoir que la population française de lynx est principalement répartie sur les massifs du Jura, des Vosges et des Alpes. Depuis sa réintroduction (en Suisse en 1971), le lynx a rapidement fait son apparition en France. Nous avons connu dans le Bugey, dans les années 1990-1991, des attaques à répétition sur des moutons. Cela a aussi été le cas dans le Jura où plusieurs élevages ont été attaqués ces années-là. En observant ses déplacements dans les corridors qui le mènent jusqu'à nos massifs français, on essaie de comprendre comment fluctuent les individus dans ce territoire. Nous nous servons de caméras et de pièges photos, les pistons en suivant la plupart du temps leurs traces de pas. Sur l'ensemble du massif vosgien, une petite dizaine d'individus, dont une seule femelle, est connue. Sur le massif du Jura alsacien, nous recensons trois à quatre individus en provenance de la Suisse qui débordent sur nos massifs français.
En tant qu'observateur et spécialiste du lynx, comment décririez-vous ce grand félin ?
Le lynx est très discret, avec une stratégie d'approche très subtile. Il chasse à l'affût souvent après avoir été posté en lisière pendant un long moment à observer. On constate une approche lente et une attaque, en général, à moins de vingt mètres, parfois même à moins de dix mètres, le plus proche possible de sa proie. On se demande parfois même comment cela est-ce possible qu'elle ne s'aperçoive de rien ! Le lynx arrive complètement tapi, se sert des buissons et des reliefs pour se camoufler. Dès qu'il repère sa victime, s'il est en mode chasse, il ralentit sa cadence. Comme le loup, il comprend très vite si son attaque a des chances de réussir ou pas.
Justement quelles sont les principales différences de comportement entre le loup et le lynx ?
Le lynx est avant tout solitaire, le loup peut l'être aussi, mais il chasse quand même souvent en meute. Ce qui les différencie, c'est leur manière d'attaquer et de consommer leur proie. Le loup est tout à fait capable de dévaler une pente sur plusieurs dizaines de mètres, de semer la panique avant d'attaquer. Le lynx, lui, se fait encore plus discret et attend vraiment d'être le plus proche possible de sa cible pour l'attaquer. Alors que le loup consomme sa proie immédiatement, le lynx la déplace, parfois de quelques centaines de mètres, la recouvre et la consomme sur plusieurs jours. En cas d'attaques sur troupeaux, essentiellement de moutons et de chèvres, il est aussi beaucoup plus simple de reconnaître un lynx, chaque individu étant facilement identifiable par les tâches singulières de son pelage. Grâce aux piégeages, on sait rapidement à quel individu on a à faire. À la différence du loup, le lynx ne s'attaque pas aux grandes proies, tels que les bovins et les équins. Le loup a déjà prouvé sa grande agilité, n'ayant aucun problème à sauter des clôtures de protection, même électrifiées. Le lynx en est tout à fait capable aussi ... Il peut aisément sauter jusqu'à trois mètres de hauteur ! Malgré un poids moyen de 22 kg, il est un prédateur puissant et déterminé !
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