L'Oise Agricole 08 avril 2021 a 09h00 | Par Dorian Alinaghi

«Marre de l'idéologie parisienne, laissez-nous vivre»

Le vendredi 2 avril, la FDSEA 60 a mené plusieurs actions dans le département de l'Oise à la rencontre des représentants de l'État et parlementaires. Une cinquantaine d'agriculteurs ont manifesté devant la préfecture en protestant contre la réforme Pac, dite «inutile et destructrice».

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De gauche à droite : Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, Agnès Thill, députée de la 2e circonscription, Denis Pype, conseiller régional, Gwenaëlle Desrumaux, présidente des Jeunes Agriculteurs de l'Oise, et Alexis Hache, président de la CGB. (© D.) Beauvais. © D. Prefecture de Beauvais. © L.M. À la même date, 36 tracteurs ont paralysé la gare routière de Senlis. Les convois venaient du Plessis-Belleville, de Crépy-en-Valois et de Pont-Saint-Maxence. Senlis © M.L. Beauvais. © D.

«Ras-le-bol», «ça va nous tuer», «marre de la politique», «ils ne savent rien», la contestation gronde à la préfecture de Beauvais. Une cinquantaine d'agriculteurs étaient à ses portes pour protester contre les propositions faites par la Direction générale de la Performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) sur la réforme de la Pac applicable en 2023. La Politique agricole commune est, depuis son origine, un amortisseur économique qui prend en considération les variabilités de production de l'agriculture dans les différents territoires. Son objectif principal est de fournir un complément de revenu indispensable à la mise en marché des matières premières que le marché ne rémunère pas à sa juste valeur.

Régis Desrumaux, président de la FDSEA 60, Gwenaëlle Desrumaux, présidente des Jeunes Agriculteurs de l'Oise, Alexis Hache, président de la CGB 60, Luc Smessaert, vice-président à la FNSEA, et Adrien Dupuy, président d'arrondissement de Beauvais nord de la FDSEA 60, ont rencontré la représentante de l'État, Corinne Orzechowski, pour faire part de leurs inquiétudes. Dans la ligne de mire des agriculteurs sur les routes vendredi, les éco-régimes ou «eco-schema», le nouveau volet environnemental des aides découplées du premier pilier. La DGPE souhaiterait avoir plus de catégories de culture (10 % de la surface de la terre arable par catégorie, avec un système à point). Les premières estimations, faites par la FDSEA de l'Oise, indiquent que près de 47 % des exploitations ne bénéficieront pas de l'éco-régime (a minima 30 % des aides en moins). «Il faut soutenir nos exploitations, nos revenus, notre avenir. Notre message est bien clair : on a été impacté depuis 2015 sur nos exploitations. Si la réforme Pac s'applique, on risque de perdre 30 à 40 % de nos exploitations. Aujourd'hui, la Pac qu'on nous impose ne s'intéresse plus à la réalité du marché. La Pac s'oriente de plus en plus vers un financement d'actions environnementales déconnectées de l'acte de production ! Est-ce là l'ambition d'une souveraineté alimentaire pour tous les Français, quel que soit leur pouvoir d'achat ? Sans paysans, pas d'alimentation de proximité à des prix raisonnables ! On souhaite que le premier pilier ne soit pas baissé. On ne veut pas de plafonnement sur le chargement à l'UGB hectare. De plus, l'éco-schéma va permettre d'activer 30 % des aides du premier pilier donc, s'ils ne rentrent pas dedans, les agriculteurs peuvent perdre jusqu'à 80 euros de l'hectare. Pratiquement 30 % en moins ! Qui peut se passer de ça aujourd'hui ? Au niveau du département de l'Oise, ce sont 40 % des exploitations qui seront mises de côté. Par exemple, dans mon exploitation, j'ai neuf cultures et je n'atteins pas le deuxième niveau de l'éco-régime. Comment on va être agriculteur demain ? La copie de la DGPE doit être revue», s'insurge Régis Desrumaux.

Pour Laurent Pollet, agriculteur au Coudray-Saint-Germer, la DGPE devrait s'appeler DGRE pour Direction générale de la régression économique des exploitations. «Aucun corps de métier n'est dans cette situation, pourquoi c'est toujours nous ? Ce n'est plus tenable...» soulève-t-il.

Pascal Foucault, agriculteur à Songeons, soulève le problème de la rémunération. Selon lui, la rémunération agricole n'a pas bougé depuis 30 ans alors que les charges ont explosé. «Une politique agricole commune est revue tous les cinq ans et nous agriculteurs, on a un retour sur investissement sur 10, 15 ou 20 ans. On a déjà perdu 40 % des aides compensatoires depuis six ans, on ne peut pas continuer dans cet ordre-là.»

Même son de cloche du côté de la FNSEA. Pour Luc Smessaert, la Pac est une vraie «usine à gaz». «Quand on cherche à comprendre, on a quelque chose d'imbuvable, ingérable ! Il y a ce que l'on peut faire à Paris et ce que l'on peut faire dans les fermes. Ce décalage est abyssal ! Aujourd'hui, on fait de gros efforts de changements. On a perdu sur nos exploitations pour accompagner d'autres secteurs. Mais là, on ne peut plus faire d'efforts supplémentaire. C'est le ministère de l'Agriculture qui doit dicter et orienter nos démarches, pas le ministère de l'Économie. Outre les contrôles et les pénalités, on travaille à ciel ouvert donc on subit les évènements climatiques. L'idéologie parisienne, ça suffit ! On est plus de 17 départements à bouger et ce n'est que le début. Il y a également un plan Climat en cours de discussion à l'Assemblée nationale. De quoi s'agit-il ? D'une taxation sur l'azote, une réduction de 20 % sur les quantités utilisées ; personnellement, je ne sais pas le faire. On verra la réaction des Français si le gouvernement annonce «vous allez manger 20 % de moins !» Rajouter des taxes aujourd'hui alors que l'on est en distorsion de concurrence avec d'autres pays, ce n'est pas audible. Là, on voit une idéologie environnementale de bobos parisiens» s'indigne-t-il.

Au niveau européen, les parlementaires sont en plein trilogue. Les échanges doivent se terminer courant mai. L'autre problématique est la non application de l'article 44 sur la loi Egalim. Ce dernier dispose qu'il est proscrit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit, en vue de la consommation humaine ou animale, des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires, ou d'aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne, ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité imposées par la réglementation. «Cela fait un moment que j'exige que le décret de la loi Egalim avec l'article 44 s'applique ! On vous interdit de produire ce que l'on importe. Je tiens à signaler qu'un agriculteur se suicide tous les deux jours ! Même si Julien Denormandie est très compréhensif, il y a au sein du gouvernement des ayatollahs de l'écologie !» se révolte Agnès Thill, députée de l'Oise.

Qui plus est, la réforme de la Pac impacte le renouvellement des générations. D'après Gwenaëlle Desrumaux, 50 % des agriculteurs partiront à la retraite d'ici cinq ans. «Si on doit attirer les jeunes, il faut que ça soit rémunérateur. Les gens doivent vivre de leur métier. Ils ne doivent pas reprendre une ferme et avoir une double activité pour subvenir à ses besoins. La Pac 2023 fait peur dès aujourd'hui. Du fait des installations qui se profilent, de nombreux dossiers sont bloqués par les banques car elles se questionnent sur le fait de la viabilité de l'exploitation. On ne réclame pas une subvention mais une aide.» Fille d'agriculteur, elle n'espère pas exercer une double activité à l'avenir pour la stabilité de sa ferme.

Pour Armelle Fraiture, pas encore installée, sa vision reste encore floue sur son avenir. «Je veux toujours m'installer mais déjà qu'il n'y avait pas de visibilité à cause des prix... aujourd'hui, avec la Pac qui baisse, cela est très difficile.»

Au niveau de la région et au vu du prochain mandat, Denis Pype porte un projet intitulé «une agriculture forte, dynamique, diversifiée, bien en place sur son territoire et qui n'oppose pas les agricultures et agriculteurs entre eux». Pour lui, l'avenir de l'Hexagone tend vers une dépendance alimentaire avec des produits venant sûrement de la Pologne, de l'Allemagne ou autres avec des règles sanitaires qui ne leur sont pas imposées. «Le parisianisme permanent met à mal nos territoires ruraux. Nous sommes tous des agriculteurs responsables, vertueux et raisonnés. Soyez fiers, on a l'agriculture la plus vertueuse au monde. Si on regarde au niveau du Parlement, dans l'Oise, on n'a plus de sénateurs et de députés agriculteurs. Au Conseil régional, sur 170, on est plus qu'une dizaine. Faire passer des messages devient de plus en plus difficile, mais nous devons continuer !»

«Ce vendredi 2 avril est un premier coup de semonce. D'autres actions pourront être menées de manière bien plus dure si les propositions de la DGPE ne bougent pas», conclut Régis Desrumaux. Ces actions s'inscrivent dans un mouvement mené par le grand bassin parisien. Au jour du bouclage de ce journal, ces actions ont permis d'obtenir un rendez-vous avec le ministre de l'Agriculture le vendredi 9 avril.

Exemple d'exploitation polyculture-élevage viande bovine de l'Oise

L'exploitation a déjà perdu 30,3 % entre 2015 et 2020 sur les aides découplées.

Estimation des aides découplées en 2023 (année de l'application de la nouvelle réforme), selon les propositions de la DGPE :

  • Surface terre arable = 236,54 ha (SAU totale : 274 ha)
  • Betteraves : 65,51 ha
  • Blé : 122,50 ha
  • Colza : 30,59 ha
  • Orge d'hiver : 16,24 ha
  • Jachère : 0,33 ha
  • Prairie temporaire : 0,86 ha
  • Avoine de printemps : 0,51 ha
  • Eco-régime : ne rentre pas dans les crières = 0 EUR/ha
  • Nouveau DPB (BISS) si convergence à 100% = 120 EUR/ha sur 274 ha
  • Paiement redistributif sur les 63 premiers hectares = 21 EUR/ha x 63 ha

Total des aides découplées en 2023 = 34.203 EUR (contre 63.050 EUR actuellement), soit 44 % de baisse entre 2020 et 2023 !

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