L'Oise Agricole 10 février 2024 a 08h00 | Par Bertry Robert

La relation boucher-éleveur au coeur de l'avenir du métier

La boucherie s'interroge face au risque de baisse de production de viande en France, en lien avec la décapitalisation dans le cheptel bovin. Un paradoxe, alors que le métier attire de plus en plus et a su renouveler ses pratiques et son image.

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- © Interbev

Dans un contexte global marqué par la décapitalisation du cheptel bovin, qui fait craindre, à terme, un déficit de production de viande en France, quel est l'avenir de la boucherie ? Cette question a été au coeur d'une table-ronde organisée à Nevers par Interbev Bourgogne- Franche-Comté (BFC), l'interprofession rassemblant les secteurs de l'élevage de l'abattage, de la transformation et de la distribution de viande.

Le lieu choisi pour l'évènement était symbolique : il se tenait dans le restaurant d'Éric Dulat, artisan- boucher et traiteur local. Ce dernier était l'un des quatre intervenants invités à exposer leur point de vue, aux côtés de Rémi Collado, acheteur boucherie pour le compte du groupe de grande distribution Schiever, Jean-François Guihard, président national d'Interbev et artisan-boucher dans le Morbihan, et Martial Maublanc, enseignant en boucherie au Centre de formation des apprentis (CFA) de Marzy, près de Nevers.

«Mettre en avant le travail de l'éleveur»

Les bouchers, demain, auront-ils encore suffisamment de viande française à travailler ? Sur cette question, la qualité de la relation artisan-boucher-éleveurs est centrale : «je travaille depuis plusieurs années avec les mêmes éleveurs, soulignait Éric Dulat, et sur un niveau de qualité constant. Dans ce cadre, l'impact de la baisse du cheptel n'est pas majeur chez nous. Ma principale source d'approvisionnement, c'est l'achat au pré, sur pied. Depuis des années, je sélectionne des bêtes à la naissance. On achète des bêtes classées, au minimum «E». Ma volonté c'est d'être toujours en haut du classement».

Dans ce cadre artisanal, le boucher travaille très étroitement avec les éleveurs. «On ne veut ni nourrissage à l'ensilage ni aux OGM. Je considère en premier lieu que mon métier consiste à mettre en avant le travail accompli par l'éleveur. Notre cheval de bataille c'est la qualité, avant le prix, même si, bien sûr, ce facteur entre aussi inévitablement en ligne de compte. Si l'éleveur gagne sa vie, nous, on pourra gagner la nôtre». Face au vieillissement de la population des éleveurs, Éric Dulat se veut optimiste. «On voit tout de même des installations. Je pars du principe que les jeunes qui s'installent aujourd'hui vont faire leur trou, à partir du moment où ils feront de la qualité». L'argument de la ressource en viande est au coeur des interrogations alors qu'en parallèle, le métier de boucher a regagné une attractivité qu'on n'imaginait pas, il y a quelques années.

Martial Maublanc en témoigne. «Quand je suis arrivé au campus de Marzy, en 2006, il y avait 5 bouchers et 1 charcutier en apprentissage. Aujourd'hui, nous avons près de 70 apprentis en boucherie. Notre filière marche bien et, actuellement, j'ai entre 30 et 40 entreprises (artisans ou grandes surfaces) qui cherchent des apprentis ». Le métier a su modifier son image auprès des jeunes. Un gros travail a été accompli sur les salaires et les horaires de travail. Il se féminise aussi, même si c'est encore timide, et attire des personnes en reconversion. «J'ai le souvenir, rappelait Matial Maublanc, d'un ancien ingénieur de chez Airbus qui est venu chez nous passer un CAP de charcutier à plus de 50 ans !».

Baisse de production, baisse de consommation

Sur la baisse de production, l'enseignant du CFA de Marzy n'est pas inquiet : «il faudra s'adapter, travailler différemment et se diversifier. Il faut proposer des préparations bouchères et notre CAP s'oriente d'ailleurs de plus en plus sur cet aspect» et là encore, l'importance du lien boucher-éleveur émerge : «dans notre nouveau référentiel de formation nous avons l'obligation de faire rencontrer des éleveurs aux apprentis. Cette dimension va monter en puissance ».

Du côté de la boucherie en grande distribution, la baisse potentielle de production cohabite avec une autre inquiétude : celle de la baisse de consommation de viande. Au sein du groupe Schiever, basé à Avallon, dans l'Yonne, Rémi Collado passe chaque année autour de 600 t de viande bovine : «nous avons une démarche qualité qui nous est propre et qui est basée sur des animaux nés et élevés en Bourgogne Franche-Comté, de race charolaise, exclusivement. Dans tous nos supermarchés, nous ne dérogeons pas à cette règle. Ce qui nous préoccupe le plus, c'est la baisse de consommation. Aujourd'hui, nous ne courrons pas après la matière, preuve que la baisse de consommation est plus forte que la baisse de production. Les consommateurs font des arbitrages sur les produits alimentaires, et ils les font souvent sur les produits à valeur ajoutée. Il y a aussi des différences entre les intentions du consommateur et ses actes. Il dit qu'il veut de la viande locale, mais si demain, nous en manquions, ils pourraient se tourner vers de la viande d'ailleurs».

Dans l'optique de la préservation de ses approvisionnements, Rémi Collado s'inquiète de l'attractivité du métier d'éleveurs et des capacités financières nécessaires pour reprendre des élevages. Il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer. «Il faut sans doute plus d'efforts de la part des pouvoirs publics pour faire consommer de la viande locale en restauration collective. Il faut aussi bien se positionner au niveau des prix parce qu'une viande, même locale, si elle est inaccessible pour les clients, ne se vendra pas. En même temps, les éleveurs doivent avoir un revenu satisfaisant. C'est un équilibre toujours difficile à trouver, mais s'il fait défaut, on pourrait s'inquiéter pour le maintien d'un niveau de production suffisant».

Les rayons boucherie évoluent

Face à tout cela, Jean-François Guihard, président d'Interbev, souligne l'importance de la relation de confiance qui s'inscrit dans la durée entre bouchers et éleveurs. «Je travaille avec le même éleveur-engraisseur depuis 35 ans. C'est une véritable relation de confiance qui s'est installée, mais je suis un peu inquiet de la baisse de production de viande bovine en France : elle est de 3 % par an depuis six ans. La consommation de viande évolue dans sa structure : le rayon boucherie que je faisais il y a vingt ou trente ans n'a rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Nous avons beaucoup plus de produits transformés. On parvient à maintenir les volumes mais en s'adaptant».

Le revenu des éleveurs est une donnée essentielle du maintien de la production. «Il faut faire comprendre qu'un éleveur ne peut pas produire s'il ne gagne pas d'argent. On rencontre le ministre de l'Agriculture assez souvent, la Première ministre également, ou le ministre de l'Economie. Ils nous entendent tous, mais nous écoutent-ils bien ? On parle d'autonomie alimentaire mais cela ne doit pas rester des mots. Il faut des actions et on ne peut pas attendre dix ans. Dans les deux à trois ans qui arrivent il faut que des choses se mettent en place, en n'oubliant pas que la production bovine a une certaine inertie : engraisser un poulet réclame 100 jours, pour un bovin, c'est 1 000 jours. On pourra maintenir une production de qualité, en s'appuyant sur des circuits de distributions divers et variés».

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