Concilier indépendance politique et dépendance commerciale
À Londres, l’enfer n’est plus Bruxelles et la Pac, mais les quatre nations du Royaume-Uni, qui conduiront leur propre politique agricole. À quelques jours de la fin des négociations commerciales avec l’UE, les agriculteurs britanniques sont dans l’expectative.
Comment s’affranchir de l’Union européenne tout en reconquérant sa souveraineté alimentaire ? C’est le dilemme auquel est confronté le Royaume-Uni : il importe 40 % des produits agricoles et agroalimentaires consommés (48 milliards de livres-Md£ en 2019) et 70 % de ces importations sont européennes (33,7 Md£). En ayant quitté l’UE, le Royaume-Uni doit reconstruire une politique agricole, une politique environnementale et une politique commerciale et, au moindre avatar, la Commission européenne ne sera plus son bouc émissaire.
Une nouvelle loi agricole, connue dans ses grandes lignes depuis deux ans, a été votée le 11 novembre dernier par le Parlement britannique. «À partir du 1er janvier 2021, les agriculteurs britanniques ne toucheront plus les aides de la Pac (environ 4 MdE) mais le gouvernement britannique leur a assuré qu’ils continueront à percevoir des aides d’un montant équivalent jusqu’en 2024, explique Ludivine Petetin, maître de conférences à l’Université de Cardiff au Royaume-Uni. Au-delà, les agriculteurs ne savent pas quel sera le budget agricole britannique. Mais à partir de 2028, il sera voté tous les cinq ans.»
Protocole irlandais
L’ensemble des aides agricoles britanniques sera assimilable aux aides du second pilier de la Pac. Elles seront destinées à rémunérer les services environnementaux rendus par l’agriculture (la préservation de la biodiversité par exemple). L’an prochain, seule l’Angleterre sera en mesure d’appliquer cette loi agricole. Dans les trois autres nations, les projets de loi agricole sont toujours en cours d’élaboration en s’appuyant quelque peu sur le contenu de la loi du gouvernement. Or, ces nations sont compétentes pour imposer, sur leur territoire, leurs normes sanitaires et de production sans empêcher, pour autant, la libre circulation des marchandises importées d’autres nations. On imagine alors les sources de distorsions de concurrence que cela pourrait créer au sein même du Royaume.
Surtout, cette politique commerciale s’inscrit en contradiction avec le Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord signé à la fin de l’année 2019. Or, celui-ci impose que les normes des produits commercialisés en Irlande du Nord soient celles en vigueur dans l’Union européenne afin qu’ils puissent librement être commercialisés en République d’Irlande ! Joe Biden, le nouveau président américain, exclut tout accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni si ce dernier renie ce Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord. Sinon, le Royaume ne serait plus un partenaire commercial fiable, apte à tenir ses engagements.
Pieds et poings liés
À Londres, la loi agricole britannique votée par la Parlement est influencée par la dépendance commerciale du Royaume-Uni aux importations agricoles pour assurer sa souveraineté alimentaire. Son volet alimentation est en phase avec l’orientation agro-écologique de l’agriculture britannique. Mais si la réglementation sanitaire protège les industries du Royaume d’une concurrence internationale exacerbée, la composition des produits sera potentiellement moins stricte que dans l’UE. Les produits agricoles issus de l’édition génomique ne sont pas d’emblée interdits à la commercialisation.
La France est le quatrième partenaire commercial du Royaume devant l’Allemagne, les Pays-Bas et la République d’Irlande. Mais d’un point de vue diplomatique, tous les pays sont pieds et poings liés à ces négociations commerciales. Car les produits de l’UE continentale ou d’Irlande du Sud, qui ne seront plus exportés vers le Royaume-Uni, engorgeront le marché européen à Vingt-sept. La convergence face à la divergence. «À moins d’un mois de l’échéance des négociations avec la Commission européenne, aucun accord ne se dessine, déplore Ludivine Petetin. Le risque d’augmentation des prix des produits de base et, en particulier, des fruits et légumes, inquiète les citoyens, les agriculteurs et les filières agroalimentaires».
Les taxes douanières et la dévaluation de la livre sterling les rendront plus onéreux. En menant ces négociations, le gouvernement britannique fait face à l’hostilité de l’Écosse, et l’Irlande du Nord, qui n’ont jamais été favorables au Brexit. Ces nations souhaitent un accord commercial avec l’UE reprenant au minimum, comme acquis, les normes commerciales européennes actuellement en vigueur. A contrario, le gouvernement britannique cherche à imposer ses propres règles. Tandis que pour les agriculteurs britanniques, maintenir l’accès du marché du travail du Royaume aux travailleurs étrangers, saisonniers et permanents, est une priorité.
L’inquiétude grandit
À la mi-décembre, les dirigeants du monde des affaires, de l’alimentation et de l’agriculture ont imploré le Premier ministre britannique, Boris Johnson d’exclure un départ sans marché de l’UE, affirmant que ce serait «catastrophique» pour l’emploi, les chaînes d’approvisionnement des supermarchés et l’agriculture. L’industrie alimentaire a déclaré qu’il était «fou» que les entreprises britanniques ne sachent pas quelles seraient les conditions commerciales à quelques jours du 31 décembre.
Ian Wright, le directeur général de la Food and Drink Federation, a déclaré qu’un «no deal» signifierait pour les consommateurs une augmentation des prix de 5 à 15 % dans les supermarchés à partir de la mi-janvier. Dans un scénario «no deal», pas moins de treize-mille produits britanniques seraient soumis à des droits d’importation dans l’UE : par exemple, 50 % de taxe sur le cheddar, 35 % sur le porc désossé et 45 % sur la farine de blé. Les éleveurs de moutons gallois ont déclaré qu’ils risquaient d’être «anéantis» parce que les droits de douane seront si élevés qu’ils interdiraien
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