Comment assurer notre souveraineté alimentaire et énergétique ?
«Énergies, matières premières : comment se dessine le monde d'après ?». «Quelle souveraineté alimentaire dans un mode global ?». Telles sont les deux questions auxquelles l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et Neoma Busines School ont tenté de répondre lors d'un colloque début avril.
Si l'on peut définir la souveraineté comme le choix de ses dépendances, la France et l'Europe ont encore quelques efforts à fournir, étant entendu que ni l'un ni l'autre ne peuvent agir concrètement sur le climat. Or, ce dernier fait, depuis quelques années, intégralement partie de l'équation. Cela vaut plus pour l'agriculture et l'alimentation que pour l'énergie. «La France et l'Europe ne disposent pas de ressources naturelles de pétrole et de gaz suffisantes pour assurer leurs besoins internes comme la production d'engrais», a souligné Lorine Azoulai, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire à CCFD-Terre Solidaire. «Même si nous sommes engagés dans la voie de la décarbonation, nous sommes passés du gasoil russe au photovoltaïque chinois sans créer de filière française ou européenne», a regret-té Michel-Édouard Leclerc, président du comité stratégique des centres E. Leclerc et président de l'Iris.
Ce manque de discernement vient sans doute du fait que l'Europe a été le seul continent à prendre la théorie de Francis Fukuyama (lire encadré) pour argent comptant et au pied de la lettre en développant une politique ouvertement néolibérale «avec la sensation que tout était acquis» sur un plan international, a développé Sébastien Abis, chercheur à l'Iris.
Isolement de l'Europe
C'est en partie ce qui explique que de nombreux pays européens ont désarmé le militaire, l'industrie et l'agriculture, a-t-il ajouté, s'inquiétant de l'isolement de l'Europe, en particulier sur le plan agricole avec le Green Deal et sa déclinaison le Farm to Fork. «L'Europe a sans doute raison de s'engouffrer dans cette voie, mais elle a raison toute seule (...) Tous les autres pays ne veulent pas être comme l'Union européenne et la suivre dans sa stratégie», a-t-il expliqué en substance avant de mettre en garde contre un éventuel repli de l'agriculture sur l'ultralocal, qui n'est pas toujours facteur de développement. Édouard Piens, directeur Stratégie, marketing stratégique et innovation d'InVivo, a posé ce concept de souveraineté au prisme de la compétitivité, expliquant que celle-ci était un élément fondamental et avan-çant l'idée que les dépendances doivent être «consenties, voulues mais non subies». La souveraineté, «ce n'est pas l'autonomie pure et simple», a-t-il martelé. Avec Sébastien Abis, il partage le sentiment que l'innovation est l'élément central de la transition agroécologique qui peut assurer cette souveraineté. «Des solutions existent comme incorporer des algues à l'alimentation animale pour réduire l'émission de méthane pour les bovins», a expliqué Sébastien Abis qui exhorte les politiques à ne «pas tomber dans les radicalités alimentaires».
Fukuyama et la fin de l'histoire
Empruntant un peu à Georg Hegel (1770-1831) et à Alexandre Kojève (1902-1968), le professeur d'économie politique internationale, Francis Fukuyama, a développé dans son ouvrage La Fin de l'histoire et le Dernier Homme (1992), la thèse selon laquelle la fin de la guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques. La progression de l'histoire humaine qui se nourrit des guerres capitaliserait ainsi «les dividendes de la paix» et le monde vivrait dans une ère plus sécurisée, même si sa théorie ne signifie pas l'absence de conflits armés. Ce contexte sécurisé serait donc propice aux échanges internationaux et à la croissance économique. Mais, en 2018, devant la montée en puissance de la Chine qui n'a pas abandonné l'idéologie marxiste tout en pratiquant un capitalisme très agressif, Fukuyama a commencé à nuancer son propos.
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