Une mini-surface pour un max de débouchés
Nathanaël Frey cultive des micro-pousses de petit-pois, radis et tournesol, depuis 2017. Ces plantes au stade cotylédon ou première feuille cartonnent, notamment auprès des restaurateurs strasbourgeois.
Sur les deux marchés du centre de Strasbourg où il vend ses productions, ses confrères l’appellent «le maraîcher», en riant. Nathanaël Frey en est fort aise. Il a lui-même, malicieusement, baptisé son entreprise Les Grands Jardins. Cet alsacien est producteur de micro-pousses, dans une serre d’à peine… 13 m2 ! Sur quelque 4 ares qu’on lui a prêtés à Eschau, il soigne aussi des salades variées, des épinards et des racines, qu’il récolte toutes jeunes : betteraves, carottes, choux, navets. Les Grands Jardins, c’est l’art du minimalisme. Nathanaël a appris à cultiver les micro-pousses (et d’autres légumes) en Nouvelle-Zélande, il y a cinq ans.
Avant, il était marionnettiste ici, mais «je m’ennuyais, dit-il. Alors j’ai travaillé dans une ferme, au printemps 2016. J’y cultivais des légumes et je me suis amusé. Ça m’a attrapé», résume-t-il. Le virus du maraîchage ! «De vrais défis, de vrais challenges, du concret !», enchaîne Nathanaël. En 2017, il lance sa culture de micro-pousses de petit-pois, radis pourpre et tournesol, directement inspirée de son expérience océanienne. Il bine un morceau de terre dans la vallée de la Bruche, où il vit. Le chef de La Cheneaudière, à Colroy-la-Roche, lui met le pied à l’étrier. C’est son premier client. Lorsque Nathanaël commence à produire plus, il le recommande à ses pairs.
Frais, amer ou piquant
En 2019, Nathanaël et sa petite famille déménagent dans l’Eurométropole. Fort de précieux contacts, il embarque sa serre, qu’il pose à Eschau. Aujourd’hui, Les Grands Jardins fournissent plus de trente restaurants, surtout strasbourgeois. Le trentenaire est le seul, à sa connaissance, en Alsace, à atteindre les quasis 20 kg de rendement hebdomadaire, en micro-pousses. Il vend ses végétaux au stade cotylédon ou première feuille, principalement en mélange, dont la recette a été peaufinée au fil des années, grâce aux retours des cuisiniers. Le petit-pois, au goût frais, flatte l’œil avec ses filaments bouclés ; le radis pourpre est piquant ; et le tournesol, un peu amer, est gorgé d’eau et croquant. «Ce mélange de micro-pousses, c’est notre produit phare. J’ai tout de suite perçu que ce serait une niche à exploiter pour me lancer dans le maraîchage… parce que ce n’est pas facile de gagner de l’argent avec des légumes, encore moins quand on s’installe hors cadre familial comme moi, et qu’on n’a pas d’hectare», résume Nathanaël, pragmatique.
Le projet initial était la production de moult légumes en pleine terre, un rêve que Nathanaël n’a pas abandonné. Il devient officiellement chef d’exploitation début 2022 et espère trouver un nouveau terrain ; toujours autour de Strasbourg, pour être proche de l’Allemagne d’où vient sa compagne. Le maraîcher souhaite louer ou acheter entre 20 et 60 ares, poursuivre la culture de micro-pousses qui l’a lancée et développer la légumière. «L’objectif est d’aboutir à une équivalence de chiffre d’affaires (CA) entre micro-pousses et légumes, grâce à une trentaine de variétés, et de passer à deux équivalents temps plein (ETP). Pour cela, il faudrait que je multiplie par cinq la production au jardin», calcule Nathanaël Frey. Actuellement, ils sont 1,3 ETP. En 2021, l’entreprise a réalisé 24.000 € de CA ; en nette évolution par rapport à l’année 2020, impactée par la crise sanitaire et la fermeture momentanée des restaurants.
Qualité premium
C’est d’ailleurs la Covid-19 qui a poussé Nathanaël sur les marchés ; de la place de Zurich et des producteurs, devant la Nouvelle Douane. Près de 200 clients, chaque semaine, dévalisent son petit stand. Ces ventes en direct représentent désormais 35 % de son CA, quand celles aux restaurants en constituent encore 60 %. Les bonnes tables de Strasbourg sont toujours son fonds de commerce : la maison Kammerzell, le bistrot Paulus, l’étoilé Les Funambules, le gastronomique La Casserole, pour ne citer qu’eux. Les magasins se partagent les pousses restantes, dont le Super U d’Eschau. Le credo de Nathanaël, c’est l’hyper local, la fraîcheur… et le bon ! «Ce que je mets en avant, c’est le goût et l’origine locale. L’argument santé est repris par certains clients, mais moi, je ne me suis pas encore découvert une passion pour la diététique, donc je n’en parle pas», assure-t-il. À 4 € la boîte de 100 g de micro-pousses, sur les marchés, on est presque sur un produit de luxe. «Je fais de la qualité premium, du très jeune, sur mes petites surfaces, aussi en légumes, se justifie Nathanaël. Les micro-pousses sont chères, mais accessibles pour les particuliers. Et pour la restauration, leur prix est inférieur à celui pratiqué par mes concurrents.» Ses rivaux sur ce segment viennent en plus de loin : Hollande et Israël. Et les chefs sont heureux d’afficher l’origine Alsace à leur carte. «Quand je démarche les cuisiniers, ils m’appellent souvent dans les heures qui suivent notre rencontre pour me dire : c’est génial, j’en veux et votre prix sera le mien ! C’est flatteur», admet Nathanaël, qui savoure sa reconversion. D’autant plus que sa fibre artistique s’exprime tout de même chaque jour. «Je suis très content de l’apparence de mon jardin. Je construis une toile et j’ai l’impression de plus développer ma créativité aujourd’hui qu’à l’époque», confie-t-il.
Facile ?
Charpentier de formation, Nathanaël a lui-même construit la serre et le laboratoire de préparation des mélanges de micro-pousses : 6.000 € chacun. Au total, ces cinq dernières années, il a investi environ 30.000 €, pour ses micro-pousses et son mini-jardin. Les graines coûtent entre 2,5 à 28 €/kg, les plus chères étant celles de radis pourpre. Le prix du substrat, de compost et de tourbe s’élève à 40 €/m3. Les graines sont posées à la surface de cette mince couche de terre. Nathanaël sème et récolte deux fois par semaine. Il y a donc près de 100 récoltes de micro-pousses par an dans la serre continuellement chauffée à 20°C et ventilée. En 2017, le rendement en micro-pousses était de 8 kg par récolte ; aujourd’hui, le record à battre, c’est 21 kg. «On a maîtrisé l’outil. La qualité et la quantité augmentent. Heureusement, car les commandes aussi ! Surtout avec le marché de Noël», révèle Nathanaël Frey.
L’arrosage à la main est quotidien. «Je travaille à l’arrosage automatique», précise le maraîcher, réflexif. La récolte a lieu après sept jours pour les pousses de radis, et après dix à douze jours pour celles de petit-pois et de tournesol. Nathanaël n’utilise aucun produit phytosanitaire.
«Surtout pas de désherbant», s’esclaffe-t-il. Pourtant, les micro-pousses ne sont pas labellisées bio, culture hors sol oblige. Les semences, qu’il choisit pour leurs qualités, sont aussi plus souvent issues de l’agriculture conventionnelle. Si le maraîcher n’a jusqu’alors jamais constaté d’invasion de champignons, il a déjà affronté les colonies de fourmis et les vols d’oiseaux, dans sa serre. Ses légumes poussent, eux, sur un lit de compost, en pleine terre. Nathanaël travaille le sol le moins possible. «Je construis tout, dans ma ferme, autour de la volonté de ne pas me casser le dos», argue-t-il.
Toujours innover
Dernières nouveautés : aux particuliers, sur les marchés, le maraîcher propose, depuis peu, des petits pots avec des graines pré-germées, à faire pousser chez soi, à 3 € l’unité. Cet hiver, ils ont remplacé sur son stand les légumes de pleine terre qui se raréfient. Les Grands Jardins ont aussi lancé le hashtag #mesminipousses sur les réseaux sociaux, pour faire vivre la communauté des «accros».
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