L'Oise Agricole 23 novembre 2023 a 09h00 | Par A.G.

Un feu vert pâle pour la réautorisation du glyphosate

Au fil des semaines, les positions se sont figées, et aucun compromis n'a finalement pu être trouvé pour réunir une majorité qualifiée sur la réautorisation du glyphosate. Malgré l'abstention de plusieurs pays le 16 novembre, la Commission européenne a annoncé sa volonté de réautoriser l'herbicide, dont la licence actuelle expire le 15 décembre.

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Plusieurs organismes, partisans ou opposants au glyphosate, ont reproché jeudi  à la France son «manque de courage» pour s'être abstenue lors du vote à Bruxelles permettant à la Commission européenne la décision de renouveler l'autorisation du désherbant pour dix ans.
Plusieurs organismes, partisans ou opposants au glyphosate, ont reproché jeudi à la France son «manque de courage» pour s'être abstenue lors du vote à Bruxelles permettant à la Commission européenne la décision de renouveler l'autorisation du désherbant pour dix ans. - © dr

Après plus de trois ans de procédure, une évaluation des risques que l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) qualifie d'historique (en matière de volume de données analysées) et une discussion politique me-née au pas de charge, les États membres de l'UE ne sont, une nouvelle fois, pas parvenus à dé-gager de majorité qualifiée pour (ou contre) la réautorisation du glyphosate dans l'UE lors d'un vote en comité d'appel le 16 novembre. Comme lors du scrutin organisé un mois plus tôt en comité permanent sur les plantes, les animaux et l'alimentation (dont le sigle en anglais est ScoPAFF), les positions n'ont quasiment pas évolué et aucun compromis n'a pu se dégager. Une majorité d'États membres s'est toutefois prononcée en faveur de cette réautorisation : dix-sept États ont voté pour, trois contre (la Croatie, le Luxembourg et l'Autriche) et sept se sont abstenus (la France, l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, les Pays-Bas, Malte et l'Italie qui s'était pourtant prononcée pour la réautorisation un mois auparavant).

Tuant tout suspens, la Commission européenne a décidé d'an-noncer sans attendre, dans un communiqué publié à peine une heure après la fin de la réunion, que, «sur la base des évaluations approfondies de la sécurité réalisées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), en collaboration avec les États membres de l'UE», elle va désormais procéder au renouvellement de l'approbation du glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines conditions et restrictions. Les restrictions en question restent les mêmes que celles qui sont sur la table depuis le mois de septembre : interdiction de l'utilisation avant la récolte comme agent de dessiccation et nécessité de prendre certaines mesures pour protéger les organismes non ciblés. Rien, par contre, concernant une obligation de mettre en place des mesures de substitution lorsque des alternatives crédibles sont disponibles, comme le demandait la France.

Recherche de compromis, en vain

Paris a tenté depuis plusieurs semaines d'amender la proposition initiale de la Commission. «La position française est claire», fait savoir le ministère de l'Agriculture : «La France n'est pas contre le principe du renouvellement de la molécule, mais veut réduire rapidement son usage et encadrer son utilisation, pour en limiter les impacts, et la remplacer par d'autres solutions chaque fois que c'est possible.» À défaut de mesures de gestion des risques allant dans ce sens, Paris a plaidé pour «un délai de réhomologation plus court que les dix ans pro-posés afin de pouvoir intégrer les compléments d'analyse dès qu'ils seront disponibles». En vain. Les États membres favorables à une autorisation de l'herbicide ont refusé tout amendement en ce sens. La France espère maintenant que Bruxelles va accélérer les travaux «pour mettre au point les méthodes scientifiques afin de mieux évaluer les risques indirects pour la biodiversité via les chaînes trophiques».

Pour être atteinte, la majorité qualifiée doit réunir 55 % des États membres (soit 15 États sur 27) représentant au moins 65 %de la population totale de l'UE. Dans le cas du vote en comité d'appel sur le glyphosate les dix-sept États membres qui se sont prononcés pour une réhomologation ne représentent que 41,7 % de la population européenne (les abstentionnistes, eux, 55,3 %). Seule l'opposition d'une majorité qualifiée des États membres peut bloquer l'adoption par la Commission d'actes d'exécution. Conformément à la législation de l'UE et en l'absence de la majorité requise dans un sens ou dans l'autre, la Commission est obligée d'adopter une décision. Le règlement encadrant la procédure de comitologie précise que Bruxelles est libre d'adopter ou non l'acte proposé, mais doit «tenir le plus grand compte» de l'avis du comité avant de prendre sa décision. Un amendement ajouté à cette réglementation en 2017 (suite notamment aux nombreux votes sans majorité qualifiée concernant les autorisations d'OGM) prévoit qu'en l'absence d'avis émis par le comité d'appel, «une nouvelle réunion du comité d'appel, au niveau ministériel» peut être organisée. Dans ce cas, le comité d'appel émet son avis dans les trois mois à compter de la date de la saisine initiale. Ce n'est pas l'option qui a été retenue.

Passage en force

«Notre rôle est de faciliter un compromis. Nous avons fait tout notre possible, mais aucun terrain d'entente n'a pu être trouvé, sur une durée d'autorisation plus courte par exemple», justifie un porte-parole de la Commission européenne qui rappelle aussi le manque de temps dont elle dis-posait pour agir. L'autorisation actuelle du glyphosate expire le 15 décembre. «Le moment venu, il appartient à la Commission de jouer son rôle et de prendre ses responsabilités», ajoute-t-on à la Commission européenne. Pour les organisations et coopératives agricoles de l'UE (Copa-Cogeca), qui se félicitent de la réautorisation, il n'existe de toute façon «actuellement pas d'alternative équivalente à cet herbicide, et sans lui, de nombreuses pratiques agricoles, notamment la conservation des sols, seraient rendues complexes, laissant les agriculteurs soit sans solution, soit avec des alternatives encore plus consommatrices d'herbicides».

Mais pour le président de la Commission de l'Environnement du Parlement européen, le Français Pascal Canfin - qui a par ailleurs été chargé par le parti d'Emmanuel Macron de préparer, conjointement avec Clément Beaune, ministre des Transports, la campagne des élections européennes -, c'est la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a déci-dé de «passer donc en force en réautorisant le glyphosate pendant dix ans sans aucune majorité et alors que les trois plus grandes puissances agricoles du continent (la France, l'Allemagne et l'Italie) n'ont pas soutenu cette pro-position». Et de préciser : «Je le regrette car il lui restait un mois pour faire une proposition plus équilibrée.»

Le bon équilibre

Légalement, la Commission européenne doit présenter exactement le même texte entre le premier vote en ScoPAFF et celui en comité d'appel. Mais dans les faits, elle peut travailler sur un compromis à soumettre au moment du vote, voire adopter après la réunion du comité d'appel (et en l'absence de majorité qualifiée) un règlement légèrement modifié par rapport au texte soumis au vote.

En 2017, lors de la précédente procédure d'autorisation du glyphosate, celui-ci n'avait été réhomologué que pour cinq ans alors que la Commission européenne avait initialement pro-posé une autorisation de dix ans avant de revoir ce délai à sept ans. Une majorité qualifiée avait alors pu se dégager. Beaucoup imaginaient qu'il s'agissait de la dernière fois où le glyphosate se-rait autorisé dans l'UE. L'idée était en tout cas de laisser le temps à l'UE de mener une étude impact beaucoup plus approfondie. Cette évaluation a pris un peu du retard, mais six ans après la Commission européenne estime avoir réalisé l'examen le plus poussé qui puisse être fait des risques liés à l'utilisation de l'herbicide. Elle estime donc qu'une réhomologation pour dix ans constitue un bon équilibre. Même sans majorité.

Béchu aurait préféré «un vote contre plutôt qu'une abstention»

Après la prolongation pour dix ans de l'autorisation du glyphosate par la Commission européenne, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a affirmé le 17 novembre qu'il aurait préféré «un vote contre plutôt qu'une abstention» de la France. «À titre personnel, j'aurais évidemment préféré que, puisque nous étions opposés à cette décision, cela prenne la forme d'un vote contre plutôt qu'une abstention», a déclaré Christophe Béchu sur France Inter, qualifiant au passage de «dinguerie» la position de la Commission de réautoriser «tous les usages pendant dix ans sans limites». Le ministre a expliqué que la France a «essayé de trouver une position alternative à la position européenne (...) avec un certain nombre de pays». «Dix-sept pays ont voté en faveur de la position de la commission et on a, y compris pour les raisons diplomatiques, voté comme les Allemands (...) pour faire en sorte de continuer à trouver des alliés sur ce sujet», s'est-il justifié. «Il faut savoir qu'une abstention, ça vaut vote contre», a-t-il aussi souligné. Arithmétiquement, le seul vote de la France n'aurait de fait pas suffi à faire pencher la balance. Plu-sieurs organismes, partisans ou opposants au glyphosate, ont reproché jeudi à la France son «manque de courage» pour s'être abstenue lors du vote à Bruxelles permettant à la Commission européenne la décision de renouveler l'autorisation du désherbant pour dix ans.

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