Un compromis à Bruxelles pour la restauration de la nature
Malgré des débats compliqués, les ministres de l'Environnement de l'UE sont parvenus à adopter une position sur les propositions de restauration de la nature. De nombreux assouplissements ont été introduits en matière agricole notamment. Les regards se tournent désormais vers le Parlement européen.
Les ministres de l'Environnement de l'UE ont, difficilement, convenu le 20 juin à Luxembourg d'une position commune sur la proposition de législation sur la restauration de la nature qui prévoit la remise en bon état de 30 % des habitats jugés en mauvais état d'ici 2030. Malgré l'opposition au texte de plusieurs États membres craignant trop de contraintes pour leurs secteurs agricoles et forestiers - dont la Suède qui préside le Conseil de l'UE et qui a envisagé de soumettre son propre compromis au vote, mais aussi les Pays-Bas, la Pologne, l'Italie et la Finlande -, un terrain d'entente a pu être trouvé. Pour y parvenir, de nombreux assouplissements ont été introduits par rapport à la pro-position initiale de la Commission européenne. L'objectif de 30 % de restauration notamment s'appliquerait à au moins 30 % de la superficie totale des types d'habitats (urbain, zones humides...) considérés comme n'étant pas en bon état, et non pas à la superficie de chaque groupe d'habitats, comme l'avait initialement proposé la Commission. Les États membres devraient ensuite fixer des mesures de restauration pour au moins 60 % d'ici à 2040 et au moins 90 % d'ici à 2050, là encore de la superficie de chaque groupe d'habitats qui n'est pas en bon état.Le compromis introduit aussi de nombreuses flexibilités pour les éléments paysagers à haute diversité dans les écosystèmes agricoles ou la réhumidification des tourbières drainées à des fins agricoles par exemple. Pour les éléments paysagers tels que les haies, les rangées d'arbres, les fossés ou les étangs, le Conseil de l'UE a ajouté la possibilité de concentrer les mesures sur les éléments jugés les plus nécessaires à la préservation de la biodiversité. Il a assoupli les objectifs de réhumidification des tourbières drainées à des fins agricoles, pour tenir compte du fait que certains États membres sont touchés de manière disproportionnée par ces obligations. 30 % des tourbières drainées à des fins agricoles devraient être réhumidifiées d'ici 2030 et 50 % d'ici 2050, avec la possibilité pour les États membres fortement touchés d'appliquer un pourcentage inférieur.
Oiseaux et pollinisateurs
Pour atteindre ces objectifs les États membres devront présenter (deux ans après la publication du texte) à la Commission européenne des plans nationaux avec des mesures spécifiques pour améliorer la biodiversité des écosystèmes agricoles et mesurer le respect de cette obligation sur la base d'indicateurs. «Étant donné que les oiseaux des terres agricoles sont des indicateurs clés bien connus et largement reconnus de la santé des écosystèmes agricoles, il convient de fixer des objectifs pour leur rétablisse-ment», précise le texte. L'obligation d'atteindre ces objectifs s'appliquerait aux États membres, et non individuellement aux agriculteurs. Les États membres «devraient atteindre ces objectifs en mettant en place des mesures de restauration efficaces sur les terres agricoles, en travaillant avec et en soutenant les agriculteurs et les autres parties prenantes pour leur conception et leur mise en oeuvre sur le terrain.» Les États membres devront aussi inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici 2030. Une évaluation des progrès réalisés devra être menée tous les six ans après 2030, jusqu'à ce que des ni-veaux satisfaisants soient atteints. Ces plans nationaux de restauration devront également présenter un aperçu des interactions entre les mesures qu'il prévoit et le plan stratégique national de la Pac.
En matière de financement, les États membres souhaitent que la Commission européenne sou-mette un rapport dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur du règlement sur les besoins de financement pour la mise en oeuvre et les éventuels déficits avec, si besoin et sans pré-juger du cadre financier pluriannuel post- 2027, des propositions de mesures adéquates, y compris financières, pour répondre aux besoins identifiés.
Pression au Parlement européen
Ce compromis constituera la position de négociation du Conseil de l'UE lors des négociations en trilogue avec le Parlement européen qui devraient s'ouvrir après l'été. Mais il faudra avant cela que les eurodéputés, très divisés sur le dossier, adoptent leur position. Le 15 juin en commission de l'Environnement, le texte a échappé in extremis à un rejet en bloc que demandaient les groupes poli-tiques de droite - notamment les démocrates chrétiens du PPE. Et faute de temps, son examen n'a pas pu être finalisé. Il devait l'être le 27 juin, avant un vote en plénière prévu en juillet (probable-ment le 11 ou le 12).
Avant la réunion des ministres de l'Environnement, le groupe PPE avait appelé les États membres à rejeter le projet de loi sur la restauration de la nature. Et il accusait le président de la commission de l'Environnement, Pascal Canfin, d'avoir abusé de son rôle lors de l'examen du 15 juin en retardant puis en interrompant les débats dans le but d'éviter un rejet. Les organisations et coopératives agricoles de l'UE (Copa-Cogeca) se sont, elles, dites «consternées» par le fait que les ministres de l'Environnement de l'UE n'ont pas rejeté le texte et comptent donc maintenant sur le Parlement européen pour le faire.
Une lettre ouverte du Copa à Pascal Canfin
La présidente du Copa, Christiane Lambert, a adressé le 26 juin une lettre ouverte au député européen, Pascal Canfin, président de la Commission de l'envi-ronnement du Parlement européen. Les deux protagonistes qui ont toujours entretenu d'assez bonnes relations jusqu'à présent affichent désormais leurs divergences sur la proposition de la Commission européenne relative à la restauration de la nature. Les critiques du Copa «se concentrent sur une initia-tive mal construite, sans budget et ayant fait l'objet de consultations remarquablement improductives entre la Commission européenne et ceux qui devront la mettre en place concrètement sur le terrain», exprime ainsi Christiane Lambert. L'ancienne présidente de la FNSEA n'a pas apprécié non plus que Pascal Canfin compare «les agriculteurs aux constructeurs automobiles» ou «aux multinationales comme Danone, Unilever ou Nestlé» et qu'il résume les oppositions du secteur agricole et forestier à un «blocage culturel». Contrairement à ces multinatio-nales, les agriculteurs ne peuvent pas «conduire des virages radicaux sans un minimum de concertation et de soutien», analyse-t-elle.
Sanctuarisation
La présidente du Copa estime aussi que «la Commission européenne est (...) incapable d'expliquer ou de dire comment ces mesures de restaurations seront prises en charge par le budget européen. Personne n'explique encore aujourd'hui clairement à Bruxelles qui devra prendre en charge le coût des propositions sur la table (...) Ce seront les agriculteurs, les forestiers, les pêcheurs qui devront sortir de leurs poches les milliards d'euros nécessaires aux objectifs fixés depuis Bruxelles. Cela n'est tout simplement pas sérieux», poursuit Christiane Lambert. Le Copa s'inquiète aussi que ce texte mette en place de nouveaux principes comme celui de la «non-détérioration». «Clairement, cette proposition doit être rejetée dans son état actuel car elle aura un impact sans précédent sur la ruralité européenne, provoquant rejet et ressentiment.» Tendant la main à l'élu écologiste, Christiane Lambert lui demande de «travailler à une proposition qui se fasse «avec» et pas «contre» le monde agricole et la ruralité». «Il est temps de passer du face à face au côte à côte», conclut-elle.
C. S.
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