«Rappelez-vous à quel point vous êtes importants !»
Lors de l’assemblée générale de la Mutualité sociale agricole d’Alsace le 14 juin, la géographe et économiste Sylvie Brunel a livré un plaidoyer revigorant à destination du monde agricole. Dans un contexte d’agribashing décomplexé, elle a rappelé les forces et le potentiel de l’agriculture française.
«Pollueur», «empoisonneur», «accro au glyphosate», «tueur d’abeille», «bourreau d’animaux». Cette litanie acerbe déversée quasi quotidiennement contre l’agriculture française semble sans fin. Mais on peut graviter dans les hautes sphères médiatiques parisiennes sans pour autant entretenir une image biaisée de la réalité. On peut même s’atteler quotidiennement à prendre la plume et porter sa voix pour rappeler ce qu’est vraiment l’agriculture française, d’où elle vient et où elle peut aller pour peu qu’on la soutienne. C’est ce que fait Sylvie Brunel, écrivaine, économiste, géographe, professeure à la Sorbonne et auteure d’une lettre mensuelle pour les «amoureux du maïs». Lors de la dernière assemblée générale de la Mutualité sociale agricole d’Alsace, elle est venue délivrer un véritable plaidoyer pour l’agriculture française, sans langue de bois.
Avant de prendre régulièrement la parole dans des émissions télé ou radio, elle a consacré une grande partie de sa carrière professionnelle à Médecins sans frontières et Actions contre la faim. En parcourant les pays sous-développés ou en voie de développement, elle a été marquée par les crises et problèmes alimentaires. Puis, elle est revenue à Paris, au sein de l’université de la Sorbonne pour transmettre ses savoirs.
Là, elle entend ce qu’elle qualifie aujourd’hui «d’attaques injustes et scandaleuses» à l’encontre d’une agriculture française qui avait pourtant réussi à accomplir les défis qu’on lui avait lancés des décennies plus tôt. «Je ne comprenais pas ce que j’entendais, alors que notre agriculture a réussi à faire de la France l’un des pays les plus sûrs au monde en matière de sécurité alimentaire.» Mesurant le contraste évident entre certains pays et la France qui a la chance de vivre dans une certaine opulence, elle commence à écrire sur la profession agricole (arboriculture, maïs) pour «démonter les injustices».
Des Français contradictoires
Elle constate tout d’abord que la société française souffre en grande partie « d’amnésie », oubliant un passé pas si lointain où se nourrir était un défi pour nombre de personnes. «En 1954, on distribuait des verres de lait pour lutter contre la malnutrition. Sans le plan Marshall, notre agriculture n’aurait pas pu réaliser ce qu’elle a fait, ou alors elle aurait pris plus de temps. Au début des années 1960, les rendements ne dépassaient pas 30 quintaux à l’hectare, la SAU faisait 35 millions d’hectares, 40 % du budget des ménages était destiné à l’alimentation, l’espérance de vie était de 65 ans, et on dénombrait 4.000 morts par an liés à des contaminations alimentaires.»
Des chiffres essentiels pour bien comprendre la performance réalisée en 50 ans. Aujourd’hui, les considérations sociétales ont changé. La nourriture est partout, tout le temps.
Dans le même temps, la préservation de la biodiversité est devenue une grande cause mondiale. Et le Français 2019 est devenu très (trop ?) exigeant, particulièrement en ce qui concerne le contenu de son assiette. Il n’hésite plus à le faire savoir, non sans certaines contradictions. Sylvie Brunel relève pêle-mêle ceux qui veulent du « bio» mais «pas cher», du «beau» mais pas «chimique», de «l’authentique» qui soit «pratique», du «naturel» avec de la «traçabilité et de la transparence», des «circuits courts et locaux» mais en «toutes saisons», du «végétal» alors que la moitié de la SAU française est faite de prairies.
Prudence sur le «tout bio»
Pour l’opinion publique, il faudra faire sans le glyphosate classé comme «cancérigène probable» par l’Organisation des nations unies. «Sauf que cette dernière est la seule à affirmer cela. Je rappelle qu’on a inventé cet herbicide pour lutter contre de gros problèmes sanitaires. Avec sa suppression, on se dirige vers des impasses techniques, et pas seulement pour les agriculteurs.» Si on peut trouver mieux, pour Sylvie Brunel, il faut «foncer». À condition que ces potentielles alternatives ne soient pas beaucoup plus chères, compliquées et toxiques que le glyphosate. «Et parallèlement, que fait-on des produits importés qui vont continuer à être traités avec des produits interdits chez nous ? Par exemple, un quart des pesticides utilisés aux États-Unis sont interdits en Europe. Les normes sociales et environnementales françaises ne sont pas respectées sur 10 à 25 % des produits importés dans notre pays, y compris venant d’autres pays de l’Union européenne.»
À en croire nombre de médias, la seule et unique alternative viable serait un passage de masse vers l’agriculture biologique. Une solution effectivement intéressante pour Sylvie Brunel si cela permet de dégager de la valeur ajoutée ou de valoriser des surfaces plus petites. «Mais soyons prudents, avertit-elle, la grande distribution pilote la moitié du bio en France. Elle commence à faire pression sur les producteurs bio, comme elle l’a fait avec les agriculteurs conventionnels. Nous risquons de nouveau une guerre des prix, avec des producteurs pris à la gorge. Alors oui pour le bio, mais ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier.»
«Il faut qu’on vous entende»
L’agriculture française a le système le «plus sûr du monde». C’est un «atout de taille» qui finira par porter ses fruits dans les prochaines décennies. «La classe moyenne mondiale est de 3,5 milliards de personnes. Elle s’accroît de 160 millions de personnes chaque année. Nous avons des critères de qualité, des labels qui sont reconnus dans le monde entier.»
Avec les tensions sur le marché mondial, il va y avoir des marchés à prendre en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et dans bien d’autres pays. Demain, il faudra nourrir 10 milliards d’humains avec 3,4 milliards de tonnes de céréales. Il va donc falloir produire plus et mieux, et de manière durable. «L’agriculture relève le défi de la durabilité dans tous les domaines : l’alimentation humaine et animale, dans la biodiversité, dans la chimie verte, dans l’énergie. Nous sommes à l’apogée de la critique, mais le balancier est en train de changer. Je crois que la donne est en train de revenir vers vous. Il faut qu’on vous entende, chacun d’entre vous. Ne laissez pas le discours aux autres, car vous êtes une profession d’intérêt général. Rappelez-vous à quel point vous êtes importants !».
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