Quel avenir pour l'OMC ?
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a fêté ses trente ans le 1er janvier 2025 peine à revenir sur le devant de la scène et surtout à réguler le commerce mondial. Parmi les dossiers en souffrance : celui de l'agriculture. Sur le court et moyen terme, il ne devrait y avoir que peu d'amélioration à attendre.
En septembre 1969, le général de Gaulle, qui refusait que la France finance l'expédition des Casques bleus au Congo (ex-belge), avait asséné une formule assassine, restée célèbre : «le machin qu'on appelle ONU». À entendre de nombreux diplomates, cette sentence pourrait s'appliquer à l'OMC. En effet, l'institution internationale dont le siège est situé à Genève donne l'image d'un géant ensommeillé.
En pleine guerre des subventions et à l'heure où de nombreux pays sont tentés par le repli protectionniste, elle traverse une crise profonde. Les espoirs étaient pourtant grands le 15 avril 1994 quand 124 pays avaient conclu l'«Uruguay Round» entamées à Punta del Este, le 20 septembre 1986. La fin de ce cycle mettait un terme aux accords du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), en vigueur depuis 1947** pour faire naître, en lieu et place, l'OMC/WTO. L'OMC voyait ainsi son champ d'actions s'élargir. En effet, alors que le Gatt régissait principalement le commerce des marchandises, l'OMC et ses Accords se penchent aujourd'hui encore sur le commerce des services ainsi que sur les échanges d'inventions, de créations, de dessins et modèles (propriété intellectuelle).
«Facilitatrice des négociations»
Depuis le 1er janvier 1995, l'agriculture a un statut spécial dans les accords et mémorandums d'accord de l'OMC sur le commerce. Mais la question agricole dépasse largement le cadre purement commercial quand il s'agit de prendre en compte les exigences sociétales en matière de sécurité alimentaire, de droits de l'Homme, de protection de l'environnement, de bien-être des animaux ou encore de la qualité des aliments, la protection de la biodiversité ou la lutte contre le changement climatique. Autant de contraintes qui peinent d'ailleurs à s'appliquer dans les accords de libre-échange. En témoigne par exemple le refus du gouvernement français de ratifier le projet d'accord entre l'Union européenne et le Mercosur parce qu'il n'a aucune disposition permettant de discipliner les pratiques des pays du Mercosur en matière de lutte contre la déforestation.
C'est en partie ce type de sujet sur lequel l'OMC pourrait intervenir en amont ou bien après coup, au sein de l'Organe de règlement des différends (ORD). Or, cet organe d'appel ne fonctionne plus depuis 2019, date à laquelle Donald Trump, ouvertement hostile à l'OMC, avait bloqué la nomination des juges siégeant à l'ORD. L'administration de Joe Biden avait souhaité réformer l'OMC, mais cette volonté n'a pas été suivie d'effets : les États-Unis ont continué de bloquer le processus visant à pourvoir les postes vacants. Ni le président de l'ORD, Petter Ølberg, ambassadeur de Norvège, ni la facilitatrice des négociations, Mme Usha Dwarka-Canabady, ambassadrice de l'île Maurice, ne sont parvenus à faire plier les États-Unis. Certes, cette dernière s'est fendue le 11 octobre dernier, d'un communiqué marquant les «grands progrès dans le cadre des discussions» et soulignant la nécessité «d'intensifier le dialogue» pour avoir un ORD opérationnel avant la fin de l'année. Cela ne semble être qu'un paravent. Le retour de Donald Trump pourrait bien compromettre les espoirs de l'ORD et, par extension, ceux de l'OMC.
«Travail de Romains»
Il faut dire que depuis sa création, l'institution internationale a connu de nombreux soubresauts et n'a pas véritablement su jouer le rôle de juste régulateur que tous ses membres (au nombre de 164 pays aujourd'hui) attendaient et attendent d'elle. Des manifestations importantes alimentées par les altermondialistes ont retardé, fin novembre 1999, la tenue de la troisième conférence ministérielle qui se déroulait à Seattle (États-Unis), préfigurant les émeutes anti-G8 de Gênes de 2001. Des tensions se sont fait jour et se sont cristallisées lors de la conférence de Cancun (Mexique) en 2003. Trois groupes de pays en développement avaient décidé de résister aux pressions de l'UE, du Japon, des États-Unis et du Canada pour imposer leur texte conjoint sur l'agriculture comme texte officiel de la Conférence.
La conférence s'est terminée sans consensus, chacun restant sur ses positions. Deux ans plus tard, à Hong-Kong, les 149 pays en présence devaient régler les différends entre les pays du sud et les pays du nord et devaient faire aboutir le cycle des négociations lancé à Doha en 2001...
Malgré six jours d'intenses négociations qualifiées par le président Donald Tsang de "travail de Romains", ce Hong-Kong Round n'est pas parvenu à résoudre les problèmes liés aux mesures de distorsion des échanges et aux pratiques non durables dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche. Le sentiment d'immobilisme s'est accru au fil des conférences ministérielles :
Genève (2009, 2011 et 2022), Bali (2013), Nairobi (2015), Buenos Aires (2017), Abou Dhabi (2024)... L'espoir d'un déblocage a failli renaître en 2021 quand la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala a succédé au Brésilien Roberto Azevêdo.
Mais les deux dernières conférences ministérielles qu'elle a dirigées n'ont pas été conclusives, achoppant toujours sur l'agriculture et le commerce électronique, dossiers où les désaccords sont encore importants. La culture du consensus qui prévaut au sein de l'organisation rend difficile l'adoption d'un texte qui satisfasse l'ensemble de ses membres. Il suffit qu'un seul pays s'y oppose pour qu'il ne soit pas adopté. Tant et si bien qu'aujourd'hui, l'OMC se cherche un second souffle.
(*) World Trade Organization
(**) L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) est le cadre juridique et financier mis en place à l'échelle internationale au sortir de la Seconde Guerre mondiale sous l'impulsion des États-Unis (1947).
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