Pérenniser l'exploitation par des projets et un développement mesurés
À 34 ans, Philippe Carlier est installé depuis avril 2017 sur l'exploitation familiale de Méry-la-Bataille ; il a repris les 50 % de parts que détenait sa mère Brigitte dans l'EARL, avec son père Thierry à ses côtés.
«J'ai toujours su que je serai agriculteur et après un BEP, un bac pro et un BTS Acse au lycée Robert-Schumann de Chauny, j'avais imaginé travailler comme salarié tout en donnant des coups de main à la ferme. Mais les ennuis de santé de ma mère ont précipité mon installation», témoigne le jeune homme. La ferme de 228 ha, très dispersée de Roye-sur-Matz à Catigny (80), se consacre aux grandes cultures, blé, colza, orge d'hiver et maïs grain, près un abandon des betteraves sucrières. «On livrait à la fois pour Tereos et Saint Louis Sucre. Je ne travaillerai plus jamais pour la coopérative, mais je pourrais recultiver un jour des betteraves pour Saint Louis Sucre», concède Philippe Carlier.
Passion élevage
18 ha de luzerne, récoltés en enrubannage, et 38 ha de prairies permanentes situés à une dizaine de kilomètres assurent l'alimentation d'un troupeau allaitant en blondes d'Aquitaine et parthenaises dont le nombre de mères a augmenté à 65 lors de l'installation. «On a aménagé une maternité dans un vieux bâtiment qui menaçait de s'écrouler et transformé un hangar en bord du village pour y finir les animaux destinés à la vente. On a beaucoup travaillé en auto-construction et auto-financement, la situation économique de l'exploitation ne permettait pas d'investir démesurément», détaille l'éleveur.
En effet, s'installer en 2017 juste après la récolte catastrophique de 2016 n'a pas été de tout repos. «On a essayé d'améliorer le niveau génétique du troupeau, de rajeunir le cheptel et on est parvenu à une quasi-autonomie alimentaire. Seuls des tourteaux de tournesol, colza et lin sont utilisés pour la finition des animaux. En plus de mes livraisons à Elvea 60 dont je suis administrateur, je travaille régulièrement avec un acheteur qui apprécie les parthenaises, rares dans le secteur, et l'atelier élevage assure des rentrées régulières sur l'année. Il est rentable, à condition de ne pas compter ses heures !» plaisante Philippe Carlier.
Prestations de service
Parallèlement, le jeune exploitant développe avec son père quelques prestations de service en travaux agricoles, uniquement à destination des éleveurs, avec une presse et une enrubanneuse. «Il s'agissait d'amortir le matériel acheté pour être autonome dans les chantiers d'enrubannage, nous ne produisons pas de maïs ensilage. Cette activité s'est développée lentement auprès de clients depuis fidélisés, mais je n'irais pas au delà d'un chiffre d'affaires qui m'obligerait à créer une autre structure juridique», précise Philippe Carlier. L'idée est surtout d'apporter de la trésorerie et de rentabiliser l'investissement en matériels.
«Grâce à cette diversification mesurée et au développement du troupeau, j'ai pu surmonter les premières années de mon installation. J'ai emprunté 260.000 euros, ce qui reste raisonnable, mais en lien avec la situation financière de l'exploitation.» Philippe Carlier ne cache pas la satisfaction de ses parents, mais aussi leur inquiétude face à une situation agricole incertaine. Car, depuis juillet 2023, après onze années passées à l'ETA Vincant, Christian Carlier a repris les parts de leur père, désormais en retraite. «Après mon installation post récolte 2016, Christian s'installe alors que l'effet ciseaux va se faire sentir cette année et que la moisson risque d'être décevante. Mais il n'y a pas vraiment d'année idéale pour s'installer», contaste le jeune exploitant.
Qu'importe, les deux frères n'ont pas peur du travail et de l'énergie à revendre. Ils sont aidés dans leurs tâches quotidiennes par Jean-Michel Minotte, jeune salarié de 22 ans. «Il habite à côté de la ferme et a toujours été passionné. Je l'ai pris en stage puis en apprentissage au cours de sa formation agricole et nous l'avons embauché en CDI quand Christian s'est installé.»
Avec leurs compagnes salariées à l'extérieur («c'est bien aussi pour l'ouverture d'esprit !»), les deux frères arrivent à prendre des congés grâce à la présence du salarié et ils veillent à maintenir une ambiance de travail agréable. «On partage des moments festifs, c'est important pour travailler efficacement. De même, je veille à entretenir de bonnes relations avec les autres habitants du village, qui sont habitués aux vaches puisqu'il reste encore des élevages à Méry-le-Bataille», poursuit Philippe Carlier.
Les deux frères ont investi dans du matériel classique et construit un hangar de 400 m2 sous lequel ils peuvent l'entretenir à l'abri. «Nous faisons en sorte d'améliorer les conditions d'élevage de nos animaux, mais aussi de nos conditions de travail. Pour continuer, nous nous donnons toutes les chances, même si les marchés restent instables. Nos objectifs sont de vivre de notre métier, de rembourser nos emprunts et de pérenniser l'exploitation en avançant raisonnablement, à hauteur de nos capacités de travail et d'investissement. Nous réfléchissons à engraisser une partie de nos veaux mâles, actuellement vendus à 6-8 mois, pour gagner en valeur ajoutée», avance Philippe Carlier.
Avec lui aux manettes de l'élevage, Christian aux productions végétales et leur salarié en renfort, voilà une belle équipe de jeunes à qui travailler ne fait pas peur et donne le sourire.
Engagement syndical : «pour garder des agriculteurs, l'État doit les aider»
Philippe Carlier fait partie de JA 60 depuis ses 20 ans. Avec le président de Maignelay-Saint Just, Dominique Bastien, il s'est réinvesti pour 2 ans, le temps de mettre en place la nouvelle équipe.
Le jeune exploitant se bat pour que les contraintes administratives soient allégées et que l'État et l'Europe respectent leurs engagements de paiements de primes Pac. «On reçoit les aides en plusieurs paiements étalés et de plus en plus tardifs, c'est inadmissible ! Comment gérer une trésorerie dans ces conditions ? Les décisions sont prises en dépit de la réalité de notre métier !», se désole-t-il.
Pour preuve, après 10 ans d'engagement en MAE, il va abandonner : de nouvelles contraintes ajoutées en dernière minute, des pratiques plus coûteuses et des paiements très en retard. «À ce compte-là, on ne s'y retrouve pas, c'est vraiment dommage. Si on veut garder des agriculteurs et une production en France tout en respectant l'environnement, il faut que les pouvoirs publics décident d'une politique réaliste et adaptée aux enjeux et aux besoins. La passion nous fait avancer, mais nous devons nous sentir soutenus.»
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