Partager et protéger, une urgence absolue
Le 27 novembre à l’Assemblée nationale, organisations agricoles, collectivités territoriales et associations environnementales ont lancé un appel pour une nouvelle loi foncière pour mieux partager et protéger la terre.
«Il faut passer aux actes» et le plus vite possible, a résumé Henri Biès-Péré, vice-président de la FNSEA, à l’issue du colloque foncier initié par trois députés, Dominique Potier, Jean-Michel Clément et Jean-Bernard Sempastous, qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale le 27 novembre. Cet appel à mettre en chantier une nouvelle loi foncière, promise par Emmanuel Macron, pendant la campagne électorale de 2017, est partagé par de nombreuses structures : toutes les organisations agricoles, la FNSEA et JA notamment, mais aussi les collectivités territoriales comme l’Association des Régions de France et l’Association des Communautés de France, ainsi que de nombreuses ONG et associations environnementales. Il y a urgence, en effet, selon Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, l’artificialisation des terres s’accélère. Malgré quelques avancées législatives, celle-ci repart à la hausse depuis 2015. 55 000 hectares ont été soustraits de l’agriculture en 2018. Quant à la concentration du foncier, elle progresse également à cause du développement des formules sociétaires qui échappent au contrôle des Safer. Si celles-ci ont permis la transmission et l’installation de jeunes agriculteurs, on assiste désormais à un certain nombre de dérives, avec l’apparition de holdings plus ou moins opaques sur le marché des parts sociales, observe-t-il. Il déplore également l’apparition d’un phénomène nouveau, le travail à façon sur la totalité de l’exploitation. «On va vers un accaparement des terres par des formes sociétaires, si on ne met pas en place une régulation», redoute-t-il.
Des effets délétères
Ce constat est partagé par Hubert Cochet, professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech qui dénonce les effets de cette évolution. Les entreprises de travaux agricoles peuvent contrôler jusqu’à 10-20 exploitations. Il apparaît une séparation de plus en plus nette entre les investisseurs (les propriétaires fonciers) et les entreprises qui réalisent le travail sur les exploitations. «La priorité est donnée à la rémunération du capital, l’accent est mis sur la rentabilité, au détriment de la protection de l’environnement», observe-t-il. Et si la diminution accélérée du nombre d’exploitations depuis la guerre et leur agrandissement a permis un accroissement de la production et celle de la productivité du travail, cette modernisation n’a pas été sans conséquence négative. Alors que pendant les «Trente glorieuses», les fils d’agriculteurs qui quittaient la ferme trouvaient du travail en ville, ce n’est plus le cas désormais. «Une exploitation qui disparaît, c’est deux chômeurs en plus», déplore-t-il. Même observation négative pour l’évolution de la valeur ajoutée de l’agriculture : celle-ci s’est effritée au cours du temps. Certes, le revenu agricole s’est maintenu, car les agriculteurs sont moins nombreux à se partager «le gâteau» grâce aussi aux aides de la Pac. Autres conséquences déplorables : l’agrandissement a favorisé la spécialisation des exploitations agricoles et des régions, la dissociation entre les cultures et l’élevage, le développement de la monoculture et au final un appauvrissement et une dégradation des sols ainsi qu’une pollution des nappes phréatiques. Conclusion, d’Hubert Cochet : «Il est temps d’enrayer ce processus délétère. Le partage et la maîtrise du foncier en est une condition sine qua non».
Des conséquences bénéfiques
Pierre Blanc, professeur de géopolitique, comme Bertrand Hervieu, ancien président de l’Inra sont également convaincus que l’accès au foncier au plus grand nombre, son partage et sa régulation ont eu des effets bénéficiaires au cours de l’histoire. Ainsi, pour Pierre Blanc, le partage des terres aux Etats-Unis au XIXe siècle a permis son décollage économique. Et plus près de nous, le Statut du fermage en 1946, la création des Safer dans les années 1960 et le contrôle des structures ont contribué à faire de la France un grand pays agricole. Et même les plus libéraux considèrent aujourd’hui, que la régulation du foncier est une nécessité, estime Frédéric Courleux, directeur des études d’Agriculture Stratégies. Son prix modeste a été un facteur de compétitivité de l’agriculture et le détricotage du Statut du fermage «n’est pas une option crédible», car «cela obligerait les fermiers à acheter la terre». Il estime aujourd’hui que toute évolution de la politique foncière doit être articulée avec la prochaine réforme de la Pac. Les aides à la surface privilégient l’agrandissement des exploitations et la compétition entre agriculteurs au détriment de l’installation.
Une loi sur la régulation du foncier «début 2022»
Confirmant les propos d’Emmanuel Macron lors du Salon de l’agriculture, Didier Guillaume a annoncé à l’occasion de l’assemblée des territoires de la FNSafer, une loi foncière, sur laquelle les députés devraient se pencher «début 2022», juste avant la fin du quinquennat, rapporte-t-on au cabinet du ministre de l’Agriculture. Cette loi se concentrera sur la régulation du marché foncier, sans évoquer la protection, «qui dépend des collectivités et qui ne fait pas encore consensus», indique Emmanuel Hyest, président de la FNSafer. Lors d’un rendez-vous en amont de l’assemblée générale, le 26 novembre, Emmanuel Hyest a insisté auprès de Didier Guillaume sur les nouveaux enjeux fonciers. «L’ensemble du marché doit être régulé, y compris les parts sociétaires et le travail à façon. Quand des entreprises travaillent sur 1000, 2000, voire 12 000 hectares en région Centre, vous n’aménagez pas le territoire, vous le déménagez», estime Emmanuel Hyest. Alors que le ministère étudie actuellement les résultats de la consultation terminée fin octobre, les points d’accord identifiés lors de cette consultation pourraient faire l’objet de décrets avant la loi.
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