«Nous devons accroître notre souveraineté protéinique»
L’importation massive de protéines végétales fait l’actualité, puisque ces cultures sont une des causes des feux qui dévastent l’Amazonie. Arnaud Rousseau, président de la Fop (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux), et du groupe Avril, évoque les perspectives d’avenir de la filière du colza français.

Quel bilan peut-on dresser de la récolte de colza 2019 ?
Annus horribilis (année horrible) ! Nous avons cumulé toutes les contraintes durant cette campagne. Les semis, tout d’abord, ont été réalisés dans une période de sécheresse. Ces mauvaises conditions ont été la cause de levées imparfaites, et même parfois d’absence de levée. Certains cultivateurs ont dû détruire leurs parcelles au printemps. Nous avons estimé entre 15 et 20 % de perte de surface. Nous n’avions pas connu cela depuis une dizaine d’années. Puis la pression insectes (altises, mouches…) et maladies a été très forte. Enfin, le gel tardif en avril, avec des relevés de température à - 9°C dans certaines régions, en pleine formation des fleurs, ont été dévastatrices. Résultat à la moisson : entre - 25 et - 30 % de production, avec des rendements moyens probablement inférieurs à 30 qx/ha. Ces rendements sont d’ailleurs très hétérogènes, y compris au sein d’une même exploitation.
Quelles sont les conséquences de cette triste année ?
Les conséquences sont d’abord subies par les exploitants, puisqu’ils doivent encaisser une perte de revenus. La filière trinque aussi, notamment notre groupe Avril, qui commercialise 85 % du colza français. Les usines ne vont pas être saturées, donc nous allons devoir avoir recours à plus d’importations. De plus, nous craignons une baisse de volonté d’emblavement pour la nouvelle campagne de la part des producteurs. Nous pouvons néanmoins retenir un aspect positif : contrairement au blé, les cours du colza se tiennent bien, autour de 380 €/t, avec un complexe soja relativement bas.
Des leviers techniques peuvent-ils être actionnés pour aider les exploitants dans la production de colza ?
Nous n’aurons jamais la maîtrise de la météo. Cela est valable pour toutes les cultures, évidemment. En revanche, nous mettons des moyens en place pour continuer de trouver des solutions aux problèmes d’insectes et de maladies. Cent-vingt personnes travaillent là-dessus chez Terre Inovia, notre institut technique de la filière des huiles et protéines végétales. Nous avons avancé sur le volet agronomique, avec des techniques telles que l’introduction de plantes compagnes, des semis plus précoces… Mais la recherche prend du temps, et nous souffrons du retrait de certains produits chimiques, comme les néonicotinoïdes, alors que nous n’avons pas de solution alternative assez efficace. L’homologation du Teppeki pour cette campagne était bienvenue, mais ce produit n’offre pas un résultat suffisant. Dans certaines régions, comme en Bourgogne, il devient très difficile de lutter contre les ravageurs.
Quels nouveaux débouchés la filière envisage-t-elle pour valoriser la production ?
Nous sommes très actifs de ce côté. Pour rappel, la filière du colza relève deux challenges. Celui de l’huile, à 45 %, avec un quart des débouchés vers la consommation alimentaire, et trois quarts vers les biocarburants. Puis celui des tourteaux de protéines, à 55 %, dont la quasi-totalité est à destination de la production animale. Notre objectif est de développer la petite part de protéines à destination de l’alimentation humaine. C’est une des attentes sociétales ! En juillet, nous avons notamment signé un partenariat avec Royal DSM (entreprise scientifique internationale opérant dans les domaines de la santé, de la nutrition et des modes de vie durable, ndlr), pour produire une protéine unique issue de colza non OGM. Un site industriel sera construit en Normandie pour cela. Il devrait voir le jour d’ici fin 2020. Nous devrions transformer de petites quantités au départ, avec l’objectif d’accroître ces volumes et d’aller chercher plus de valeur. Nous travaillons aussi sur le développement de filières de niche, comme celle de la chimie végétale, dont l’un des projets est le remplacement de la colle chimique par de la colle végétale à base de colza pour les panneaux de bois, par exemple.
Le Plan protéines végétales évoqué par le gouvernement entre dans ce cadre. Emmanuel Macron en a parlé à nouveau récemment, puisque la culture de soja dont la France dépend est un facteur important du ravage de la forêt amazonienne. Où en est-il ?
Sur le principe, nous sommes tout à fait d’accord ! La Fop dénonce depuis longtemps l’ouverture de nos marchés aux importations massives. Ces produits importés sont cultivés et récoltés sans respect des exigences imposées aux producteurs français et européens. Nous devons accroître notre souveraineté protéinique, et nous avons pris nos responsabilités en ayant déjà largement investi dans l’essor des protéines végétales. Mais nous avons besoin de moyens. Jusqu’ici, nous n’avons pas eu le soutien concret des pouvoirs publics. Nous espérons que les choses se débloqueront en ce début de mois de septembre.
Chiffres clés du colza
- 1,5 million d’hectares sont, en moyene, cultivés en France
- 4,5 à 5 millions de tonnes sont produites chaque année.
- 3,5 millions de tonnes environ ont été récoltées en 2019, campagne très difficile, sur 1,10 million d’hectares.
- 500 000 tonnes sont importées chaque année en France.
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