L'Oise Agricole 23 juillet 2022 a 11h00 | Par Pierrick Bourgault

Lin, l'indétrônable culture

Le climat normand est idéal pour la culture de lin, plante aux nombreux usages, exportée à 80 %. Une filière européenne de transformation subsiste cependant et un atelier de sacs se développe même en Occitanie.

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Usine Albert Brille (Belgique).
Usine Albert Brille (Belgique). - © P Bourgault

Dans le lin, tout est bon : la fibre bien sûr, pour tisser des textiles naturels prisés dans l'habillement et la décoration ; la graine comestible, riche en oméga-3 et aux vertus cosmétiques ; l'huile de lin pour entretenir le bois à l'intérieur et l'extérieur. Les sous-produits servent dans de nombreux matériaux, jusqu'au papier des dollars américains. Bhallot, jeune entreprise des Pyrénées-Orientales lance une gamme de sacs « éthiques et écoresponsables, fabriqués localement à partir de lin cultivé en France » comme le précise Jean-Baptiste Astau, son fondateur. « Il est difficile de trouver un tissu imperméable, à part le plastique qui n'est ni écologique, ni local, ni vraiment recyclable. C'est pourquoi nous utilisons la toile de lin, imprégnée et solidifiée à l'huile de lin. On travaille ensuite le tissu avec des machines de maroquinerie. » Lancé en 2017, cet atelier artisanal situé près de Perpignan crée et coud une gamme de sacs et des espadrilles made in France. La vente directe sur Internet évite les marges d'un distributeur et autorise des prix abordables, à partir de 25 EUR la trousse et 55 EUR le sac à dos.

De la graine au tissu

Selon la CELC (confédération européenne du lin et du chanvre), « 80 % de la production mondiale de fibres de lin est d'origine européenne et la France en est le leader mondial », en particulier l'Eure et la Seine-Maritime. Une première place assurée grâce au climat et à une filière solidement organisée entre agriculteurs et industriels. Ainsi, l'entreprise belge Albert Brille envoie fin juin ses équipes arracher le lin des champs normands ; la graine a été semée en mars et d'élégantes petites fleurs bleues surgissent en juin. L'arrachage donne des fibres plus longues que la fauche. L'étape du rouissage consiste à laisser la plante sur le terrain quelques semaines sous une alternance de pluie et de séchage. Les Belges expédient ensuite les balles rondes vers l'usine de Wevelgem, à 25 km de Lille. « Ce sont les mêmes employés qui font l'enroulage et le déroulage, ils savent exactement ce qui convient à nos machines », explique Marnix Hanson, l'un des responsables techniques. « On récolte de 5 000 à 6 000 ha de lin par an et presque toute notre production part vers Chine et Inde. La demande est telle qu'on ne peut la satisfaire. » Albert Brille réalise 40 MEUR de chiffre d'affaires avec le lin. Les entreprises européennes qui exportent vers l'Asie sont rares et l'exploit mérite d'être souligné, mais cette exportation de matière première trahit aussi la désindustrialisation en Europe : pour transformer la plante en fil, il ne subsiste des filatures qu'en Pologne. Et seulement 20 % du lin est tissé en Europe, en particulier par la société belge Libeco fondée en 1858 par la famille Libert et certifiée par le label « Masters of linen ». Libeco fabrique 3 000 références de tissus pour l'habillement et l'ameublement, vendus dans 65 pays pour un chiffre d'affaires de 60 MEUR annuel, en croissance : « Nous fournissons la Cour de Belgique et d'autres maisons royales, des émirs et autres têtes couronnées - mais pas seulement, car le Covid a incité les gens à investir dans leur confort intérieur » précise la guide dans l'usine, entre robots autonomes et personnel attentif à réparer à la main la moindre irrégularité dans un rouleau.

Une culture vertueuse

Le lin exige peu de phytosanitaires, d'engrais et d'eau - infiniment moins que le coton. Seule difficulté, l'étape du rouissage : les tiges arrachées gisent plusieurs semaines, sèchent, reçoivent des averses et doivent être retournées pour sécher à nouveau. Les anciens cultivateurs de chanvre en Mayenne et en Sarthe décrivent un rouissage effectué autrefois en plongeant les tiges dans la mare ou le ruisseau, avant le séchage dans des fours à bois dédiés dont certains existent encore dans les fermes. Un travail considérable, à la main, jusqu'à obtenir des fibres solides comme une queue-de-cheval, vraie chevelure végétale. Laisser le lin dans le champ est plus simple, mais risqué s'il pleut trop ou pas assez. « On peut récolter de 4 à 8 tonnes par hectare, ou tout perdre si le rouissage se passe mal, » rappelle Marnix Hanson. « Si l'agriculteur sème du blé, qui se moissonne en juillet, ses rendements seront plus ou moins bons, mais il ne redoute pas de tout perdre. Et la guerre en Ukraine va favoriser le blé au détriment du lin. » Autre incertitude sur cette fibre naturelle, l'impact du réchauffement climatique ; le lin semé en hiver offrira peut-être une solution. Pour l'instant, les usages du lin se multiplient : la maison de cognac A. de Fussigny vend même son dernier cru bio « 2050 » Organic Cognac dans une Green Gen Bottle® en « fibres de lin tressées et résine biosourcée », développée par une start-up toulousaine et entièrement fabriquée en France. La CELC lance « Le Manifeste du Lin 2022 », un clip réalisé par Jonathan Steuer qui valorise le lin par la danse. Le CELC révèle aussi deux champs de lin au Hameau de la Reine du domaine de Versailles, cultivés par de jeunes agriculteurs de la coopérative Terre de Lin et des jardiniers de Versailles. Le lin, l'indétrônable !

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