«Les planteurs français refusent d'être la variable d'ajustement»
Alors que les arrachages sont perturbés par les conditions météorologiques actuelles, Alexis Hache, président de la CGB Oise (Confédération générale des betteraviers), répond à nos questions.
Comment se déroule la campagne betteravière jusqu'à présent ?
Alexis Hache : Environ un quart des surfaces ont été arrachées, malgré les arrêts dus aux conditions particulièrement pluvieuses qui ont entraîné des retards. Il y a actuellement entre 4 et 8 jours de stocks en plaine selon les usines et les secteurs.
De plus, certains industriels utilisent pour la première fois des installations nouvelles, comme le préchauffage des cossettes, et il y a quelques ratés dus aux nécessaires rôdages et bonne prise en main de ces matériels.
Quels sont les rendements ?
A. H. : Il est trop tôt pour faire des calculs, mais la production betteravière ne rattrapera pas les autres mauvaises récoltes de l'année, en céréales à paille notamment. Le poids racine est peu élevé, la richesse en sucre assez faible et elle n'augmente pas au fur et à mesure de l'avancée de la récolte.
La faute au manque d'ensoleillement qui a prévalu toute cette année, de l'ordre de - 12 à - 15 %. Le potentiel de nos betteraves n'a pas eu les bonnes conditions pour s'exprimer et les usines, qui doivent en théorie fermer fin janvier, arrêteront peut-être plus tôt du fait de la faible récolte.
Qu'en est-il des prix pour cette campagne ?
A. H. : Ils devraient encore être bons cette année. Cristal Union a annoncé 40 EUR/t, les autres industriels ne se sont pas encore prononcés, mais comme le marché du sucre a explosé, il n'y aucune raison valable pour que les planteurs ne bénéficient pas de prix élevés tout à fait justifiés.
Comment se présente l'année 2025 ?
A. H. : Pour aider l'Ukraine à financer sa guerre contre la Russie, l'Europe importe du sucre ukrainien et cela a forcément un impact sur la filière française.
Plus largement, l'Union européenne négocie avec l'Ukraine des accords bilatéraux de libre-échange sur les produits agricoles. Cela ne fera pas les affaires des producteurs français, betteraviers, mais aussi céréaliers, car les denrées agricoles ukrainiennes ne sont pas produites avec les mêmes exigences environnementales, ni les mêmes normes. De même, alors que nos industriels sucriers investissent des sommes importantes dans la décarbonation, les Ukrainiens ou les Brésiliens n'ont pas ce genre de considérations et bénéficient d'un avantage concurrentiel.
Idem avec l'accord Mercosur pour lequel on est en train d'imaginer un fonds de compensation qui viendrait en aide aux producteurs lésés par cet accord. Ce n'est absolument pas ce que nous voulons : nous ne voulons pas d'argent, mais un alignement des normes afin que la concurrence soit saine et loyale !
Ce sera la grande bataille agricole de l'agriculture pour 2025 car les nouvelles institutions européennes ne nous défendent pas.
Faut-il prévoir des changements réglementaires ?
A. H. : Les retraits de matières actives continuent. Par exemple, 2025 sera la dernière année pour l'Avadex.
Nous avions un grand espoir dans la nouvelle formule de Corteva qui a reçu le feu vert de l'Afsa. Elle a été autorisée en Allemagne et aux Pays-Bas mais, en France, l'Anses vient d'émettre un avis défavorable. Nous n'allons pas pouvoir utiliser des produits que les planteurs des pays voisins vont pouvoir utiliser !
À quoi faut-il s'attendre pour les prix 2025 ?
A. H. : Le niveau des importations ukrainiennes va assurément faire la pluie et le beau temps sur le marché. Les premiers échos des futurs contrats sont relativement inquiétants car les coûts de production de la betterave sucrière ont fortement augmenté.
À moins de 30 EUR/t, ce n'est plus rentable et il y a une remise en cause des assolements par les planteurs. D'autant plus que la betterave est devenue une culture à risque, en partie à cause du retrait de matières actives efficaces. Les solutions alternatives proposées actuellement ne sont pas efficaces à 100 % et des maladies comme la cercosporiose se développent chaque année. Les solutions chimiques sont onéreuses et il devient difficile de commencer à semer le premier hectare de betteraves sucrières sans avoir la moindre assurance côté prix.
Que demande la CGB ?
A. H. : D'abord de pouvoir utiliser les mêmes matières actives, herbicides ou insecticides, que les autres pays européens, afin que nous soyons dans les mêmes conditions de production. Ensuite, que des barrières soient érigées pour obliger les produits agricoles étrangers à respecter les normes européennes. Nous refusons ces distorsions de concurrence.
Enfin, pour pérenniser la filière, et c'était l'argument des industriels quand ils ont fermé des usines en France, que les planteurs aient une lisibilité sur les prix afin de les conforter dans leur choix de produire de la betterave. Et s'il faut baisser les surfaces à cause de l'importation du sucre ukrainien, que cette baisse soit partagée par tous les pays européens et tous les industriels. Il faut une juste répartition des efforts.
Le secteur betteravier subit de plein fouet les répercussions des politiques européennes et j'ai bien peur que la betterave ne soit le précurseur de ce qui risque de se passer pour les autres productions agricoles, à savoir un exemple criant de distorsion de concurrence assumée par le politique. Nous, nous refusons que les planteurs et même tous les agriculteurs français soient la variable d'ajustement des politiques européennes.
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