L'Oise Agricole 06 mars 2025 a 07h00 | Par Camille Gourguechon

Le bail cessible sous l'angle de l'expert

Les sections des fermiers et des bailleurs ont eu le plaisir d'accueillir Anne Chartier, expert foncier et agricole, venue exposer la manière dont il est possible de valoriser le bail cessible.

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Cette réunion a été l'occasion pour les deux sections d'approfondir la réflexion sur la transmission et l'installation à travers un sujet d'importance : la cessibilité du bail via le bail cessible hors cadre familial. Ce bail, créé par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006, a fêté récemment ses 18 ans, mais il est encore mal connu et peu utilisé. Jusque-là, les dispositions du statut du fermage ne permettaient pas de transmettre une exploitation hors cadre familial, ce qui pouvait conduire au démantèlement des exploitations sans successeur. C'est pour permettre la transmission de l'exploitation de manière globale, dans des conditions restant attractives pour le propriétaire, que cette loi ouvre la possibilité de rendre le bail cessible.

Genèse du bail cessible hors cadre familial
Par son esprit, le bail cessible hors cadre familial présente des différences fondamentales avec le statut du fermage. Le bail de droit commun est en principe non cessible, sans valeur patrimoniale, et ne peut donner lieu à reprise en fin de bail que dans la perspective pour le bailleur d'exploiter le fonds. Par comparaison, ce nouveau type de bail est cessible, pourvu d'une valeur patrimoniale, et le bailleur doit verser une indemnité d'éviction s'il souhaite discrétionnairement ne pas renouveler le contrat.
La possibilité de céder le droit au bail est la caractéristique principale de ce bail rural. Elle a pour corollaire l'admission du pas-de-porte en agriculture. Cela permet de donner une valeur au bail et supprime les restitutions (action en répétition de l'indu), qui peuvent dans certains cas coûter très cher au cédant.
Mais ce bail a établi d'autres adaptations du statut du fermage : majoration des loyers jusqu'à 50 %, impossibilité pour le fermier de réviser le prix et les conditions en cas de vente devant le TPBR, perte du droit de préemption de la Safer.

Sous l'angle du bailleur
Lors de la conclusion d'un bail cessible, le bailleur peut exiger du preneur, le versement d'un droit au bail pouvant être dénommé «droit d'entrée». «Il faut se poser la question de savoir quelle somme un investisseur serait à mettre pour acquérir ce type de terre. Il ne faut pas oublier que l'indemnité due au bailleur à l'entrée se justifie par le fait que le propriétaire ne disposera plus de son bien librement comme dans un bail classique, explique Anne Chartier. Plus précisément, c'est une valeur de compensation pour obtenir du bailleur son consentement à perdre la nature libre des biens objet du futur bail».
Pour ce faire, l'expert-foncier déterminera la valeur des biens (valeur libre de chaque parcelle, valeur locative effective de chaque parcelle et valeur occupée des biens déterminée par le revenu brut) en appréciant le taux de capitalisation attendu par les parties afin de définir la valeur du droit au bail en comparaison de ces valeurs.


Sous l'angle du preneur
Sous l'angle du fermier, l'approche est davantage économique. Il convient ici de déterminer une valeur d'entreprise sur la base d'une rentabilité future actualisée sur une durée donnée.
«La démarche consiste à déterminer un EBE corrigé moyen sur les cinq derniers exercices tenant compte de rectifications éventuelles, comme des changement de production par exemple, tenant compte aussi du travail non rémunéré mais encore de l'inflation», explique Anne Chartier.
Cette approche intègre des facteurs de risques internes et externes à l'entreprises tels que les moyens de production, la pérennité de l'exploitation étude du risque ou encore les conditions de marché des productions de l'entreprise.

Indemnité pour non-renouvellement
Selon l'article L. 418-3 alinéa 3 du Code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut mettre fin au bail sans motif mais devra une indemnité correspondant au préjudice causé par le défaut de renouvellement. L'existence de cette créance est d'ordre public c'est-à-dire que les parties ne peuvent d'un commun accord l'écarter par une clause au contrat.
Son évaluation correspond au préjudice causé par le défaut de renouvellement, ce qui permettra d'inclure notamment, sauf si le bailleur apporte la preuve que le préjudice est moindre, la dépréciation du fonds du preneur, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour acquérir un bail de même valeur. Cette liste n'est pas exhaustive comme l'atteste l'emploi de l'adverbe «notamment».
Sur ce point, Anne Chartier précise qu'«en l'absence de jurisprudences, il n'existe pas une méthode mais un ensemble d'approches et d'outils pour apprécier l'indemnité pour non renouvellement du bail cessible». À titre d'exemples, le preneur pourrait opposer au bailleur des pertes de productivité pour déformation de parcelles, des pertes économiques pour non-respect contractuel ou encore le coût du logement des animaux sur la période de recherche d'une autre exploitation. Côté bailleur, celui-ci pourrait opposer par exemple à son fermier une opposition de la non prise en compte du risque que le preneur aurait dû intégrer puisqu'étant prévisible.

Valeur transactionnelle en cours de bail
Il est important de rappeler que le cession au droit au bail ne nécessite pas un agrément du bailleur mais seulement une information qui prend la forme d'une notification. Si l'agrément du bailleur n'est pas nécessaire, il peut tout de même s'opposer à la cession projetée en saisissant le tribunal paritaire des baux ruraux dans un délai de deux mois à compter de la réception de la notification du preneur.
À ce stade, l'expert-foncier se demandera que vaut le droit au bail en cession intermédiaire. Anne Chartier précise que «la réponse n'est pas si évidente et dépendra du contexte transactionnel. Différents éléments seront à prendre en considération comme le type de biens concernés, les conditions locatives du bien cédé (loyers, taxes foncières...), la durée résiduelle de bail en cours ou encore le risque de refus de renouvellement».

Un outil perfectible
L'ensemble des participants s'entend à considérer que le bail cessible hors cadre familial peut constituer une solution intéressante dans certaines situations mais que des améliorations sont à prévoir et notamment le cadre pour le calcul des indemnités d'éviction. Comme le souligne Anne Chartier, «envisager une seule et unique méthode pour déterminer l'indemnité pour non-renouvellement ne semble pas envisageable à la lecture des textes de lois et au regard de l'absence de jurisprudence».
Bien qu'offrant une grande flexibilité pour la transmission, ce flou n'incite pas toujours les parties à conclure ce type de bail et peut freiner certains propriétaires qui craignent qu'au moment de devoir verser une indemnité d'éviction, il y ait une contestation du preneur devant le tribunal. Si ce type de bail est à bien réfléchir tant sur le volet juridique, économique que patrimonial, il est évident que l'expert foncier agricole jour un rôle indispensable pour en déterminer sa valeur.

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