L'Oise Agricole 30 juin 2022 a 08h00 | Par Vincent Fermon

Lait et emploi : des tensions dans tous les maillons, alerte l'interprofession

D'ici quelques années, la question du renouvellement des générations dans les élevages laitiers comme dans les entreprises de transformation des Hauts-de-France et des Ardennes va devenir un problème majeur si rien n'est fait, alerte le Criel Picardie Nord Ardennes.

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D'après un recensement du Cniel, en novembre dernier, plus de 1 300 offres d'emploi étaient à pourvoir dans les entreprises de transformation du lait.
D'après un recensement du Cniel, en novembre dernier, plus de 1 300 offres d'emploi étaient à pourvoir dans les entreprises de transformation du lait. - © Emeline Bignon

Après une assemblée générale statutaire à huis clos, le 24 juin dernier à Amiens, les représentants du Criel Picardie Nord Ardennes se sont penchés sur le sujet de l'emploi au sens large au sein de la filière lait, et le constat est édifiant : partout, des postes sont à pourvoir, et les candidats sont peu nombreux. «La filière laitière française fait face à des difficultés de recrutement dans l'ensemble de ses maillons», a ainsi résumé Benoît Rouyer, économiste au Cniel.

Où sont les futurs éleveurs ?

Dans les élevages d'abord, le Cniel constate une pyramide des âges déséquilibrée, «puisque la moitié des chefs d'exploitation ont plus de 50 ans alors que le nombre d'installations est stable», note M. Rouyer. Conséquence, «à un moment donné, il faudra faire face à une baisse du nombre de chefs d'exploitation». En région Hauts-de-France, 26 % des chefs d'exploitation ont plus de 55 % dans le Nord et le Pas-de-Calais. Dans les autres départements, cette part oscille entre 29 % (Somme, Oise) et 33 % (Ardennes ; 31 % dans l'Aisne). Mais contrairement à certaines idées reçues, le sujet du renouvellement des actifs ne concerne pas que les élevages : «Dans les laiteries, par exemple, on a aussi beaucoup de mal à recruter», note M. Rouyer. Ce n'est donc pas par hasard que le Cniel a inscrit dans son projet d'entreprise pour 2030 de travailler sur l'attractivité des métiers. D'après un recensement du Cniel, en novembre dernier, plus de 1 300 offres d'emploi étaient à pourvoir dans les entreprises de transformation du lait. À cela s'ajoute d'autres difficultés : «Les métiers du lait ne sont pas spontanément cités par les jeunes, constate-t-on au Cniel. Les organismes chargés d'accompagner les personnes en recherche d'emploi ne connaissent pas forcément la filière et ses besoins...» Ce défaut de communication et de visibilité, l'interprofession assure y travailler d'arrache-pied.

Quelles solutions ?

Pour Valentin Crimet, installé à Huchenneville (80), une part de la réponse aux difficultés de recrutement dans les élevages pourrait se trouver chez les éleveurs eux-mêmes : «Économiquement, l'élevage, c'est dur, mais les priorités doivent évoluer chez les agriculteurs. Quand un éleveur préfère acheter un tracteur d'une marque réputée plutôt que de payer les heures supplémentaires de son salarié, il ne faut pas s'étonner de ne pas trouver de main-d'oeuvre. Peut-être faut-il un peu moins d'équipement et miser un peu plus sur les ressources humaines...»

L'autre sujet à aborder différemment est celui de la rentabilité de l'élevage laitier. Toujours selon Valentin Crimet, «il faut se sortir de la tête l'idée selon laquelle faire du lait avec des salariés, ce n'est pas rentable. C'est complètement faux. Le premier problème, c'est l'individualisme et le fait de croire qu'on peut tout faire seul. En réalité, pour un jeune qui s'installe, la facilité, c'est d'arrêter l'élevage». Pour le président du Criel Picardie Nord Ardennes, Frédéric Hennart, la communication sur les métiers du lait a toute son importance : «On doit mieux communiquer sur nos métiers, et être positif. Trop souvent, on a tendance à se tirer des balles dans le pied...»

Le rôle de la rémunération

Et la rémunération dans tout cela ? Sujet évidemment complexe, «il ne faudrait peut-être pas oublier que cela reste un sujet majeur», estime Charles Inglard, président de l'Association des producteurs de lait (ADPL) du Pas-de-Calais. Et cela vaut également pour le salariat : «Trouver quelqu'un qui est bon, ce n'est pas simple, assure M. Inglard. Les salariés agricoles en élevage laitier sont en général moins bien payés que dans d'autres fermes.» S'il partage les constats, Luc Verhaeghe assure que «le plan de filière 2017-2025 mis en place par le Cniel doit permettre d'améliorer la rémunération et la rentabilité de tous les maillons de la chaîne». Frédéric Hennart veut croire, quant à lui, à une amélioration rapide de la situation : «C'est sûr, on a encore des chantiers à mener, mais on voit quand même qu'il y a une prise de conscience de la situation par chaque acteur de l'interprofession.»

En plein essor, l'AOP Abondance alerte sur la pénurie de main-d'oeuvre

Le syndicat des professionnels de l'AOP Abondance alerte, à l'occasion d'une conférence de presse le 28 juin, sur «une pénurie» de main-d'oeuvre à tous les niveaux de la filière (élevage, transformation, vente...) alors que la production du fromage savoyard ne cesse de croître. La présidente du syndicat, Émilie Jacquot, estime les besoins en recrutement «au-dessus de 70 à 80 personnes». Au moment de l'obtention de l'AOC en 1990, les volumes d'abondance étaient de 350 t. «Depuis, ils n'ont fait qu'augmenter. La filière s'est structurée», souligne le directeur du syndicat Joël Vindret. L'abondance a ensuite été reconnue comme AOP en 1996. En trente ans, les volumes ont été multipliés par dix et s'approchent aujourd'hui des 3 500 t. «La filière connaît un vrai dynamisme», explique Joël Vindret. En 2021, les ventes ont augmenté de 7 % en volume dans la grande distribution. Au niveau de la production, le renouvellement des générations se fait mieux que dans d'autres régions, met en avant le syndicat. «Il n'y a pas une grande déprise au niveau agricole. Chaque année de nouveaux opérateurs arrivent», se félicite Joël Vindret. Cependant, «de petites exploitations ne sont pas forcément reprises» quand «d'autres s'agrandissent un petit peu», poursuit-il.

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