La souveraineté alimentaire est-elle possible sans pesticides ?
Le Think Tank a organisé en ligne un débat animé par Pascal Perri, économiste et chroniqueur, fondateur de Oui à l'innovation !
Y participaient Arnaud Rousseau, président de la Fédération des producteurs d'oléagineux et protéagineux, Jean-Paul Bordes, directeur général de l'Acta-Les Instituts techniques agricoles, Yves d'Amécourt, viticulteur en Gironde, Josselin Saint-Raymond, porte-parole du collectif Sauvons les fruits et légumes de France, et Jean-Marc Petat, directeur agriculture durable BASF France Division Agro. La question posée était de savoir si la décroissance programmée de la production en Europe, avec le souhait d'une réduction de 50 % de l'utilisation des produits phytosanitaires, est compatible avec la souveraineté alimentaire, mise à mal par la crise Covid et la guerre en Ukraine.
Selon Jean-Paul Bordes, de l'Acta, la recherche se complique car on lui demande de poursuivre plusieurs objectifs en même temps, qui ne sont pas forcément compatibles. Concernant la baisse des produits phytosanitaires, l'offre a été réduite de 25 % en 10 ans, avec le retrait de molécules ou la restriction de leurs usages. «On aboutit à des impasse techniques dans certaines productions, alors que 116 espèces de nouveaux ravageurs ont été recensées entre 2000 et 2014», assure-t-il. Les axes de recherche portent sur l'agronomie qui permet d'atténuer la pression parasitaire, le développement des produits de biocontrôle, «solution très française» pour stimuler les défenses des plantes et, enfin, la génétique. Arnaud Rousseau estime que le débat est trop caricatural, trop manichéen entre les productivistes et les défenseurs du bio, bien loin de la complexité de l'enjeu. «Avec le changement climatique et la hausse de la population mondiale, les agriculteurs sont au coeur du débat. La souveraineté alimentaire, c'est choisir ses dépendances et avoir un prix et des conditions de production acceptables pour les agriculteurs et les consommateurs. Souveraineté n'est pas autarcie», développe le responsable professionnel. Pour lui, il faut s'appuyer sur la recherche et l'innovation, avec un agenda réaliste et une constance dans les politiques publiques. Une troisième voie existe, entre le bio et l'agriculture conventionnelle.
Yves d'Amécourt souhaite que des priorités soient fixées entre les différents objectifs qui, parfois, s'opposent : concurrence ente l'utilisation alimentaire ou énergétique des matières premières agricoles (méthanisation en Allemagne).
Jean-Marc Petat rappelle l'expérience du Danemark qui a fortement réduit l'usage des produits phytos en les surtaxant. Les producteurs se sont rabattus sur les génériques, des phénomènes de résistance sont apparus, la compétitivité des exploitations a été remise en cause et cette politique a finalement échoué. Josselin Saint-Raymond refuse la fixation d'objectifs de production car produire est complexe et dépend de nombreux facteurs : météo, biodiversité, géopolitique, rapport à l'alimentation. «La crise Covid a changé le regard du public sur la génétique et la guerre en Ukraine montre que la France n'est pas souveraine, ni sur l'alimentation, ni sur l'énergie», renchérit Yves d'Amécourt.
Pas de retrait sans solution
Tous s'accordent, sous la houlette de l'animateur Pascal Perri, à n'accepter le retrait d'une matière active que si une solution est trouvée. «Et ce n'est pas toujours le cas. On confond conséquences d'une politique et objectifs», déplore Jean-Paul Bordes. Au final, on risque d'importer l'agriculture dont on ne veut pas. «Il faut anticiper le retrait des molécules ou leur révision pour trouver des solutions en amont.»
Josselin Saint-Raymond confirme que certaines productions légumières ou fruitières se retrouvent dans des impasses techniques : «le temps politique n'est pas celui de la recherche et des producteurs se retrouvent orphelins, abandonnés.»
En tout cas, la génétique est une piste de réflexion en viticulture, selon Yves d'Amécourt, ainsi que le matériel comme le pulvérisateur intelligent, qui reconnaît les adventices et réduit ainsi de 70 % les phytos, cité en exemple par Jean-Marc Petat. Yves d'Amécourt croit beaucoup à une approche système pour continuer à produire avec moins de phytos : impact actions/climat/eau/biodiversité avec une hiérarchisation des problèmes.
Malheureusement, les intervenants s'accordent sur la défiance généralisée vis-à-vis de la science et regrettent qu'autour de la table de discussion, siègent beaucoup d'acteurs sans notion scientifique. Seule exception, le ministre Denormandie dont tous reconnaissent la rigueur scientifique et le pragmatisme, bien loin de la «présomption de culpabilité des producteurs», selon Josselin Saint-Raymond.
Ce dernier affirme qu'il faut sortir de la judiciarisation du débat, soutenir les agriculteurs, revenir aux faits scientifiques, promouvoir la troisième voie entre le bio et le conventionnel afin de susciter les vocations chez les jeunes : oui à l'innovation, non aux retraits de phytos sans solutions, d'accord pour passer un contrat de confiance entre la société et l'agriculture. Il va falloir produire plus et mieux et l'agriculture a des atouts à faire valoir, notamment dans le stockage du carbone.
Le mot de la fin revenait à Pascal Perri : «ce sont les innovations qui vont permettre de relever ces défis complexes et il faut savoir fixer les objectifs, définir les priorités et accorder les moyens nécessaires.»
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