La filière viande suspendue à l’évolution du coronavirus
Au 19 mai, alors que le résultat des enquêtes officielles n’était pas encore connu, plus de cent cas de Covid-19 étaient recensés dans deux abattoirs français, Tradival (Loiret) et Kermené (Côtes-d’Armor). Dans un marché du porc déjà dégradé, la filière veut éviter un scénario à l’américaine.

«On n’est pas en situation de stress, mais on prête une attention forte à l’évolution de la situation.» C’est ainsi que Mathieu Pecqueur, directeur général de Culture Viande (industriels), résume l’état d’esprit de la filière, après la découverte d’une centaine de cas de Covid-19 dans deux abattoirs. Au 19 mai, plus de cent cas étaient recensés dans ces deux clusters : 54 cas chez Tradival à Fleury-lès-Aubrais (Loiret) et 69 cas chez Kermené, à Saint-Jacut-du-Mené (Côtes-d’Armor). Dans ce dernier, 1 027 salariés et sous-traitants ont été dépistés au 19 mai. Ce site récent fait partie d’un groupe de six usines du mouvement Leclerc. Installées dans un rayon de 30 km au sud de Saint-Brieuc, elles emploient au total 3 400 personnes. Y sont abattus chaque jour jusqu’à 7 700 porcs, 500 gros bovins et 200 veaux. De son côté, l’abattoir Tradival (groupe Sicarev) est plus modeste, avec environ 400 salariés pour une production annuelle de 55 000 tonnes de viande porcine. Le dépistage de «l’ensemble de ses salariés et de ses prestataires» a été mené en début de semaine dernière, d’après l’Agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire. Pierre Pouëssel, préfet du Loiret, a décidé de fermer cet abattoir jusqu’au lundi 25 mai, le temps de réaliser les tests et la désinfection des locaux.
Les vestiaires, potentiels lieux de contamination
L’usine Tradival se caractérise, selon le préfet du Loiret, «par son obsolescence». «Pour le moment, nous n’avons pas de données fiables» qui indiquent un lien entre la contamination et l’état de l’abattoir, réplique Mathieu Pecqueur. Les deux abattoirs ont-ils respecté les règles sanitaires ?
«Aujourd’hui, rien ne démontre que ce n’est pas le cas», affirmait il y a quelques jours le directeur de Culture Viande. Pour lui, les deux usines «ont bien mis en place la stratégie sanitaire sur la distanciation et les vestiaires», en distribuant des masques aux opérateurs et en instaurant une distance de plus d’un mètre entre les salariés. Au 20 mai, les résultats des enquêtes des ARS n’étaient pas encore disponibles. «Nous avions identifié ce problème des vestiaires avant même le confinement», rappelle M. Pecqueur. Selon lui, l’abattoir Tradival avait «mis en place des chapiteaux sur le parking» pour y distribuer masques et gel hydroalcoolique aux salariés avant leur arrivée dans l’entreprise.
Tester les salariés de tous les abattoirs français ?
«Il y a une très grande majorité, entre 95 et 98 % de cas asymptomatiques», rappelle le directeur de Culture Viande. Difficile donc, selon lui, de détecter les contaminations, même si Kermené et Tradival «prenaient la température de leurs salariés». «Le point de départ, c’est moins de cinq cas de Covid-19 déclarés aux médecins», affirme M. Pecqueur, qui réfute tout «effet déconfinement» dans ces contaminations. «On trouve des cas aussi parce que, depuis le déconfinement, on fait systématiquement des tests.» Et de rappeler que, dans le secteur de la viande, «les entreprises sont fortement employeuses de main-d’oeuvre, avec plusieurs centaines ou plusieurs milliers de salariés par site.» Alors que le coronavirus circule dans la population, «il est normal que, statistiquement, on trouve quelques cas dans les abattoirs.»
Le 20 mai, sur France Info, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume n’a pas écarté l’éventualité de tester l’ensemble des employés de tous les abattoirs français. «Ça peut être une possibilité», a-t-il estimé. La filière viande jongle entre volonté de rassurer salariés et consommateurs et surveillance de la situation. Les professionnels ont demandé une réunion de crise autour du ministre de l’Agriculture, qui s’est tenue le 19 mai. Aucune annonce n’a été faite à son issue, mais ce rendez-vous a été l’occasion pour la filière d’insister sur les points à surveiller. Le premier : «Maintenir au maximum la continuité de nos outils d’abattage», indique François Valy, président de la Fédération nationale porcine (FNP).
Mise en garde contre la «machine à faire peur»
«Le prix du porc est déjà dégradé, à la limite du prix de revient pour beaucoup d’éleveurs, il ne faudrait pas qu’il dégringole plus bas», explique-t-il. Avec ses quatre jours fériés, le mois de mai est «traditionnellement compliqué» pour les producteurs de porcs, rappelle François Valy. Et cette année, la crise sanitaire du Covid-19 fragilise le marché, entre la fermeture des restaurants et les difficultés logistiques à l’export, notamment vers la Chine. Éleveurs et industriels français veulent éviter un scénario à l’américaine. Outre-Atlantique, le coronavirus fait des ravages au sein des salariés, causant des fermetures d’abattoirs et privant le pays d’environ 20 % de sa capacité d’abattage. «Il n’y a aucune comparaison possible entre les conditions de travail dans les abattoirs français et américains, estime Mathieu Pecqueur. Aux États-Unis, les employés travaillent dans une proximité extrême, quasiment à touche-touche. En France, certaines entreprises ont dû supprimer un poste sur deux pour respecter les règles de distanciation.» «Nous avons toujours continué de travailler, même au plus de fort de la crise sanitaire», rappelle-t-il. Et de relever que, sur 260 abattoirs en France, seul celui de Tradival a dû fermer sur injonction du préfet.
Lors de la réunion avec Didier Guillaume, la FNP a aussi mis en garde contre la «machine à faire peur». «Certains sont tentés de faire croire qu’on peut être contaminé par le coronavirus en mangeant de la viande», alerte François Valy, qui rappelle que «les scientifiques disent qu’il n’y a pas de risque.» Les éleveurs ont demandé au ministre de le rappeler si l’inquiétude venait à monter dans l’opinion publique. «Il s’y est engagé», indique le président de la FNP. Une précaution loin d’être superflue, vu la sensibilité du marché de la viande aux peurs irrationnelles.
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