L'Oise Agricole 02 novembre 2023 a 09h00 | Par JJ

L'«intérêt général majeur» du stockage de l'eau incertain

Introduit par la proposition de loi Ferme France, repris dans un avant-projet de loi d'orientation agricole (LOA), le recours à la notion «d'intérêt général majeur» en matière de retenues d'eau à usage agricole laisse les juristes dubitatifs. La portée d'une telle mesure serait relativement faible.

Abonnez-vous Reagir Imprimer
- © Nicole Ouvrard

Présente dans la proposition de loi Ferme France, et reprise dans un avant-projet de Loi d'orien-tation agricole (LOA), la notion «d'intérêt général majeur» en matière de stockage de l'eau pourrait n'avoir qu'un caractère «cosmétique» aux yeux de nom-breux juristes, rapporte Arnaud Gossement, avocat spécialiste des questions environnementales.

À travers son article 15, la proposition de loi adoptée au Sénat le 23 mai «vise à poser le principe que les ouvrages ayant vocation à stocker de l'eau, ainsi que le prélèvement nécessaire à leur remplissage, sont d'intérêt public majeur». Le tout dans le respect d'un «usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales».

Une décision saluée par les Irrigants de France, qui militent pour que cet «intérêt général majeur» soit inscrit dans les textes de loi. «À l'heure actuelle, la vision politique autour de l'eau est prioritairement écosystémique, tandis que la question des usages économiques de l'eau vient bien après», soutient Éric Frétillère, président des Irrigants de France. Or, l'élu syndical estime que «la gestion de l'eau ne peut être seulement liée à l'environnement», car il existe «des enjeux économiques et sociétaux rattachés à la question».

Alléger les dossiers d'autorisation

Pour rappel, en France, la création d'un ouvrage implique de ne pas porter atteinte à l'état de conser-vation d'espèces protégées et à leurs habitats. Mais parfois, l'État peut prendre la décision de déclarer qu'un projet a un intérêt public majeur, qui peut justifier une dérogation «espèces protégées» sous réserve de remplir trois conditions cumulatives.

Il convient de démontrer que l'ouvrage répond à une «raison impérative d'intérêt public majeur» (RIIPM), qu'il n'existe pas de solution de remplacement satisfaisant et que la dérogation ne nuise pas au main-tien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. C'est ce caractère de RIIPM, que la PPL Ferme France veut accorder aux projets de stockage. Et il fait par ailleurs l'objet d'une réforme plus large.

«Du côté du ministère de l'économie, le projet de loi relatif à l'industrie verte vise à simplifier la RIIPM, sans avoir à la démontrer au cas par cas», souligne Arnaud Gossement. Ce qui explique, selon l'avocat, la volonté du ministère de l'Agriculture de proposer à son tour «un allègement des dossiers de demande d'autorisation des ouvrages de stockage de l'eau». «Reste qu'il faudra toujours évaluer les pro-jets», précise M. Gossement. Et d'ajouter que nombreux sont les juristes à estimer que «les deux autres conditions nécessaires à la mise en place d'ouvrages de stockage d'eau seront plus difficiles» à obtenir.

Ce qui n'empêche pas de l'association France Nature Environnement d'être «particulièrement inquiète» de l'ajout de ce terme dans les textes, qui «remet en cause la hiérarchie des usages de l'eau, telle que définie aujourd'hui par la réglementation, en tentant de placer l'usage agricole de l'eau au même niveau que les usages liés à l'eau potable, la salubrité, la sécurité et le bon fonctionnement des milieux», précise Alexis Guilpart, animateur du réseau «eau et milieux aquatiques» au sein de l'association France Nature Environnement.

«Si l'on peut considérer que nourrir une population est d'intérêt général, le faire en irrigant massi-vement au détriment des milieux ne l'est pas», ajoute-t-il rappelant qu'environ 93 % de la surface agri-cole française est pluviale. Reste que «la demande en eau pour l'irrigation augmente» avec le ré-chauffement climatique, rappelle l'Inrae. Entre 2010 et 2020, la part des surfaces agricoles irriguées a progressé de 14,6 %, selon les données compilées par France Nature Environnement à partir du dernier recensement agricole. Pour autant, l'Inrae préconise d'économiser l'eau avant de recourir à l'irrigation, qu'il convient par ailleurs «d'optimiser».

Réagissez à cet article

Attention, vous devez être connecté en tant que
membre du site pour saisir un commentaire.

Connectez-vous Créez un compte ou

Les opinions emises par les internautes n'engagent que leurs auteurs. L'Oise Agricole se reserve le droit de suspendre ou d'interrompre la diffusion de tout commentaire dont le contenu serait susceptible de porter atteinte aux tiers ou d'enfreindre les lois et reglements en vigueur, et decline toute responsabilite quant aux opinions emises,

A LA UNE DANS LES REGIONS

    » voir toutes 1 unes regionales aujourd'hui