Jean Castex : «ressusciter l'histoire pour préserver les terres»
La friche Cosserat d'Amiens faisait l'objet de toutes les attentions samedi 8 janvier. Le Premier ministre Jean Castex, accompagné des ministres de la Transition écologique et du Logement, s'y rendaient pour évoquer la lutte contre l'artificialisation des sols.
Concilier urgence climatique, et donc la non-artificialisation des terres agricoles et naturelles, ainsi que les enjeux de logement et d'activité économique peut paraître contradictoire. «Nous devons pourtant réussir à les concilier. Ressusciter l'histoire en réhabilitant l'existant : là est la solution», martelait le Premier ministre, Jean Castex, lors de sa visite à la friche Cosserat d'Amiens (cf. encadré), accompagné des ministres de la Transition écologique, Barbara Pompili, et du Logement, Emmanuelle Wargon. Plus facile à dire qu'à faire, s'accordent à dire les élus locaux. «Réinvestir une ancienne friche est bien plus coûteux que d'artificialiser une terre agricole. La dépollution du sol est très onéreuse», note Michel Watelain, maire de Laviéville et président du Pays du coquelicot.
Fonds friche : nouvel appel à projets
L'État en a conscience, et met des outils pour faciliter cette réhabilitation. «Le fonds friche, mis en place dans le cas de France relance, a abouti à deux appels à projets de 300 ME puis 350 ME», rappelle Jean Castex. Les seuls vingt et un nouveaux lauréats - dont la friche Cosserat - représentent 77 ha d'espaces réhabilités en France. «Cela fonctionne tellement bien que nous n'avons pas réussi à satisfaire toutes les demandes. Nous annonçons donc un troisième appel à projets, doté de 100 ME, ouvert le 25 février prochain.»
Le Premier ministre en convient, «des simplifications réglementaires seraient aussi un coup de pouce». C'est tout l'enjeu de la loi 3DS (relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale), qui devrait être promulguée prochainement.
«Sommes exemplaires»
«La réussite de la non-artificialisation tient dans la capacité des élus locaux à se saisir du sujet», assure Barbara Pompili. «En tant que président de territoire, et en tant que paysan, le sujet me tient particulièrement à coeur. Nous devons effectivement être exemplaires sur le sujet», approuve Michel Watelain, du Pays du coquelicot. Après un «Scot (schémas de cohérence territoriale) vertueux», la Communauté de communes s'est dotée d'un PLUi (plan local d'urbanisme) pour éviter l'étalement des constructions aux périphéries des villages, et d'une OPAH (Opération programmée d'amélioration de l'habitat) pour remettre sur le marché des logements vacants. «Tous nos projets sont menés dans des friches. C'est le cas du cinéma en centre-ville d'Albert et de l'espace culturel le Zèbre.»
José Rioja, président de la Communauté de communes de l'Est de la Somme, cite à son tour l'achat d'une friche de presque 9 000 m2, qui comporte quatre bâtiments. «Deux entrepreneurs ont manifesté leur intérêt pour la réinvestir.» Surtout, celle de l'ancienne sucrerie d'Eppeville, large de 175 ha, devrait se voir offrir une seconde vie. «Quatre dossiers sont en lice. Nous attendons la décision de Saint Louis Sucre. Un de ces dossiers nous paraît le plus vertueux, mais nous sommes sous le coup d'une clause de confidentialité.»
Des limites...
Pour ces élus, des limites à la lutte contre l'artificialisation persistent. «La définition des "dents creuses" est par exemple à revoir. Il s'agit souvent de prairies, trop proches des habitations pour y mettre des animaux, ou de champs eux aussi délaissés du fait des ZNT (zones de non-traitement)», souligne Michel Watelain. Ou encore, certaines obligations réglementaires vont à l'encontre de cette volonté. «Un projet de méthaniseur agricole est mené à Albert. Au départ, un bassin de rétention taillé pour des pluies d'ampleur décennales était exigé. Finalement, il doit l'être pour des pluies centennales. La construction représentera plus de surface artificialisée.»
... et de l'artificialisation encore
L'artificialisation, elle, continue sa poursuite dans la Somme. «Par exemple, le projet Boréalia 2, nouvelle zone d'activités à l'ouest d'Amiens, sacrifiera 62 ha de terres fertiles et pourrait être étendue plus tard jusqu'à 195 ha», regrette François Ruffin, député de la première circonscription de la Somme. La construction de cette zone d'activité à l'ouest du quartier Renancourt a été présentée par Amiens métropole en mars 2021, pour une commercialisation en 2023, malgré les réticences de certains habitants. «Il y a des centaines de bonnes terres bétonnées pour faire des pôles logistiques. Je ne veux pas que ma région, qui était le grenier de la France, qui a été une grande région industrielle, devienne le hangar de l'Europe», regrette le député insoumis.
Le travail reste donc à mener pour atteindre les objectifs nationaux, à savoir la réduction par deux du rythme d'artificialisation des sols, en cohérence avec la trajectoire «zéro artificialisation nette» en 2050 inscrite dans la loi Climat et Résilience.
Ne dites plus Cosserat, mais la Tisserie
Plus de mille personnes y travaillaient au XIXe siècle. Son activité a définitivement pris fin en 2021. La friche Cosserat, vestige d'un site industriel du quartier de Montières, à Amiens, sera bientôt totalement relookée en «un quartier convivial de logements et d'activités économiques dans le respect de l'environnement et du patrimoine architectural», nommé La Tisserie, indique Matignon. Sous l'impulsion du promoteur Réalités, acquéreur de la friche en 2019, le site de 40 000 m2 de surface de plancher sera doté de 10 000 m2 en réhabilitation, avec 400 logements projetés, 6 000 m² d'espaces dédiés à l'activité économique et plus de 250 emplois espérés. La première phase d'aménagement, qui va courir jusqu'en 2025, vient de débuter par des travaux de mise en sécurité des bâtiments inscrits. Suivront trois autres phases, le tout en dix ans environ. 12 000 m2 doivent être réhabilités à terme. «Demain, la Tisserie sera LE lieu amiénois dédié à la valorisation et à la transmission des savoir-faire locaux», décrit Réalités à propos du «futur quartier».
La profession veut se faire entendre
La venue de ministres dans la Somme est toujours une occasion de se faire entendre. En parallèle de la visite officielle, Marie-Françoise Lepers et Denis Bully, secrétaire générale et président de la FDSEA80, ainsi que Françoise Crété, présidente de la chambre d'agriculture, étaient reçus en préfecture par des conseillers. «La lutte contre l'artificialisation des sols est un enjeu majeur pour l'agriculture locale», rappelaient les élus. Or, pour eux, la réglementation comporte de nombreux «trous dans la raquette». L'expertise de la CDPENAF (commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) en est un exemple. «Pour toute étude d'artificialisation de terre, elle ne dispose pas d'une vision complète des solutions. Il arrive donc régulièrement qu'un accord de CDPENAF ne soit regretté du fait qu'il existait des solutions que le pétitionnaire n'a pas étudiées.» La FDSEA propose qu'une cartographie des friches industrielles et des réserves foncières disponibles des collectivités locales lui soit transmise. Autres exemples : l'usage de terres agricoles pour la production d'électricité - «Nous souhaitons que les installations photovoltaïques au sol soient réservées aux friches et zones délaissées» - ou encore les documents d'urbanisme en zone rurale, qui reposent sur la volonté d'orienter l'urbanisation en développant les principaux bourgs. «Cette doctrine aboutit à des incohérences graves dans les petits villages : les dents creuses, souvent en prairies, ne sont régulièrement plus constructibles. Dans les zones les moins denses, la possibilité de construire une habitation, et même une extension de bâtiment agricole, et parfois proscrite, alors que c'est là où les nuisances sont les plus faibles.» Un assouplissement des objectifs de PLU-PLUi pour permettre une densification de tous les périmètres habités existants et le développement des sites agricoles existants est souhaité.
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