Guerre en Ukraine : «Les aides d’urgence sont insuffisantes»
Le ministre polonais de l’Agriculture, Henryk Kowalczy, fait le point sur la situation «extraordinaire» et les «conséquences très variées» que la guerre en Ukraine a induites sur les filières alimentaires polonaises. Les mesures d’urgence annoncées par Bruxelles en matière d’agriculture lui semblent «insuffisantes».

Suite au déclenchement de la guerre, environ deux millions de réfugiés ukrainiens sont arrivés dans votre pays, qui compte 38 millions d’habitants. Quels sont les effets sur la sécurité alimentaire sur votre territoire ?
La sécurité alimentaire de la Pologne est assurée. Nous sommes exportateurs nets de produits agricoles, les exportations vont peut-être diminuer, mais nous aurons suffisamment de nourriture. Nous estimons que 200 000 à 300 000 réfugiés sont déjà repartis, notamment en Allemagne et peut-être en France. En général, les Ukrainiens qui voulaient fuir la guerre ne veulent pas se déplacer, même à l’intérieur de la Pologne. Ils espèrent revenir rapidement en Ukraine. Nous avons mis en place une loi qui permet aux Ukrainiens d’être domiciliés chez des familles polonaises et d’avoir accès aux soins medicaux, à l’assistance sociale et au marché de l’emploi. Cette loi est prévue pour dix-huit mois, mais nous espérons que les réfugiés pourront retourner plus tôt chez eux. La société polonaise a été à la hauteur. Il serait difficile de trouver un autre pays où l’on accueille les réfugiés chez soi. Nous essayons, par ailleurs, de lutter contre la hausse des prix. Nous réduisons la TVA à zéro pour l’alimentation, les engrais et les combustibles. Il y a également une allocation proposée aux familles pauvres.
Quels sont les effets sur l’agriculture et les marchés agricoles ?
La situation est extraordinaire, et les conséquences sont très variées. Les échanges commerciaux ont été perturbés entre la Pologne et l’Ukraine. Il n’y a plus d’exportations vers la Pologne, ce qui provoque une hausse des prix des céréales très visible. L’autre conséquence, c’est l’embargo de la Russie. Nous considérons qu’il ne sera pas possible d’exporter environ 1,5 million de tonnes de pommes. Autre élément, l’augmentation des prix de l’énergie, notamment du gaz, ce qui a un effet sur les prix des engrais. Cela aura un effet sur les prix des céréales, et sur la prochaine récolte. Ajoutez à cela les problèmes en Ukraine. Cela pourrait entraîner une chute de production de plusieurs millions de tonnes. Il y aura moins de céréales sur le marché mondial et ce sera encore plus visible l’année prochaine. Les agriculteurs ukrainiens ont du mal à trouver du carburant. Nous allons essayer de les aider, mais c’est dangereux, car les livraisons risquent d’être reprises par les forces russes.
La production de pomme repose largement sur les salariés d’origine ukrainienne. Les mouvements de travailleurs sont-ils perturbés ?
Actuellement, une grande partie des travailleurs ukrainiens qui travaillaient dans l’agriculture polonaise sont partis en Ukraine pour défendre leur patrie. Ils étaient également salariés dans le bâtiment et les transports, secteurs dans lesquels nous observons une pénurie de main-d’oeuvre. Pour l’agriculture, la situation sera un peu différente. Parmi les réfugiés venus à cause de la guerre en Ukraine, beaucoup de femmes demandent un emploi, et je pense qu’il sera possible qu’elles travaillent à la récolte des fruits. Il y aura donc moins d’hommes et davantage de femmes dans les vergers. Cela n’aura pas beaucoup de conséquences pour la récolte des fruits. Mais pour d’autres travaux, comme la construction ou les transports, cette pénurie sera visible.
Au niveau européen, la Commission a présenté un paquet de mesures d’urgence comprenant une enveloppe financière de 500 millions d’euros d’aides directes et un dispositif de soutien au stockage privé de viande porcine. Est-il suffisant ?
Cette enveloppe financière n’est pas suffisante. Si nous prenons ces 500 millions d’euros pour l’ensemble de l’UE, pour la Pologne l’enveloppe nationale représentera moins de 45 millions d’euros. Cela ne correspond pas aux besoins. Nous avons déjà consacré environ 3 à 4 milliards d’euros de fonds propres pour accueillir ces réfugiés. Puisque ces fonds sont trop modestes pour les distribuer directement aux agriculteurs, nous allons les utiliser pour atténuer les perturbations sur le marché des fruits, notamment de la pomme qui est notre principal problème du fait de l’embargo sur les exportations imposé par la Russie et la Biélorussie.
Concernant le porc, les prix augmentent actuellement, il n’y a donc pas besoin d’intervention sur le marché à ce stade. La Pologne a déjà lancé une intervention à hauteur de 100 millions d’euros pour soutenir la production avec des aides d’État. Ce dispositif se terminera le 30 mars. Et, nous avons également demandé l’autorisation de l’UE pour une aide de presque 1 milliard d’euros afin d’atténuer la hausse des prix des engrais et ainsi éviter une chute de la collecte.
La Commission européenne examine actuellement les projets de plans stratégiques de la prochaine Pac. Beaucoup d’États membres demandent à adapter leurs plans pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. En faites-vous partie ?
Je voudrais remercier la présidence française d’avoir évoqué ce sujet lors de la dernière discussion entre les ministres de l’Agriculture de l’UE. Beaucoup de pays ont repensé leurs plans stratégiques. Car il faut assurer la sécurité alimentaire en premier lieu. C’est pour cela que nous avons proposé de revenir sur l’exclusion de 4 % de sols de la production agricole afin de produire par exemple des légumineuses et des fourrages. La crise alimentaire qui nous menace doit nous conduire à suspendre cette exclusion. Le problème de la sécurité alimentaire est bien compris.
La présidence française du Conseil de l’UE a posé parmi ses priorités la question des clauses-miroirs et des mesures de réciprocité sur les importations. Est-ce quelque chose qui vous intéresse ?
Lors de notre dernière rencontre en novembre avec le ministre de l’Agriculture français, nous avons exprimé des opinions très similaires : si nous demandons aux agriculteurs européens de respecter les exigences très strictes (en matière de bien-être animal par exemple) les importations doivent y répondre également. Cela garantit une concurrence loyale sur le marché mondial. La Commission comprend bien le problème. Mais les difficultés se posent essentiellement au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’est la mise en oeuvre de ces objectifs qui risque de ne pas être satisfaisante.
Avant la crise, quels étaient les grands défis de l’agriculture polonaise auxquels vous vouliez répondre ?
J’ai pris la fonction de ministre fin octobre 2021. À ce moment-là, je voyais trois défis devant moi. Le marché du porc qui était en crise, et qui est en train d’en sortir, avec toutefois une baisse de la production dans toute l’Union européenne. L’objectif était de stopper la décapitalisation, nous avons réussi en partie. Le second objectif était le prix des engrais, dont la hausse a été accélérée avec la guerre. Nous voulons maintenir la production d’engrais en Pologne. Le troisième dossier est l’assurance. Les agriculteurs s’assuraient très partiellement, pour des risques très rares comme les inondations ou la grêle, mais pas contre la sécheresse, qui est assez fréquente en Pologne. Nous avons fixé de nouvelles règles : nous voulons que les assurances concernent toutes sortes de risques, avec un soutien de 65 %. J’espère qu’elles vont se généraliser de plus en plus.
L’agriculture polonaise en chiffres*
- 18 608 000 ha de SAU : la Pologne se classe au troisième rang en termes de surface agricole en Europe
- 1,4 million d’exploitations, de 10,95 ha en moyenne (contre 18 ha dans l’Union européenne)
- 8 à 9 Mt de blé par an produites, ainsi que du seigle (5 à 6 Mt), du colza (1,4 Mt), des betteraves (16 Mt), pommes de terre (9 Mt)…
- 1 pomme sur 3 produite en UR provient de Pologne. Le pays est leader de la production de pommes, avec 3 Mt
- 2,5 Mt de viande de volaille produites : la Pologne est le premier producteur européen
*chiffres 2018
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