L'Oise Agricole 30 janvier 2022 a 10h00 | Par Zoé Besle

De l’or rouge sur le toit de la Part-Dieu

C’est une première dans la capitale des Gaules : début septembre, une safranière a vu le jour sur les toits du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon. Le crocus sativus (crocus à safran), qui permet de produire cette épice luxueuse, s’adapte facilement à l’agriculture urbaine.

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La safranière du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon est constituée de deux terrasses de 500 m2 sur lesquels 45.000 bulbes de crocus à safran ont été plantés.
La safranière du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon est constituée de deux terrasses de 500 m2 sur lesquels 45.000 bulbes de crocus à safran ont été plantés. - © bienElevees

Aux cinquième et sixième étage du centre commercial Westfield la Part-Dieu, deux terrasses de 500 m2 abritent une culture surprenante : celle du crocus à safran, qui permet de produire le célèbre or rouge. Le projet est porté par la Maison d’agriculture urbaine BienÉlevées. L’épice, particulièrement prisée des gourmets, est vendue plus cher que le caviar ou la truffe : comptez en moyenne 35.000 à 45.000 € le kilogramme. Pour comprendre ce prix exorbitant, il faut se pencher sur la nature même de l’épice : elle est obtenue en faisant sécher les stigmates - brins du pistil au nombre de trois par fleur - des crocus. Pour obtenir un seul gramme, il faut compter entre 150 et 200 fleurs. À cela, ajoutez que la récolte des crocus puis des stigmates ne peut se faire qu’à la main, sous peine d’endommager la plante. Les brins doivent ensuite être séchés, puis maturés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant d’obtenir leur arôme tant convoité. La tâche est d’autant plus ardue que les fleurs demandent une attention constante en période de récolte, puisqu’elles s’épanouissent et fanent en 24 à 48 h. Il faut donc agir vite et au cas par cas.

À la Part-Dieu, ce travail méticuleux a celui d’ Amélie de François, responsable de la safranière. À la mi-octobre, l’ingénieure agronome a passé un peu plus de quatre semaines à repérer et récolter les crocus à maturité. Les 45.000 bulbes plantés ont donné 130 g de safran, une récolte en dessous du potentiel maximal estimé à 350 g. «On aurait aimé avoir plus, mais ce n’est pas inquiétant, le rendement va augmenter dans les prochaines années», explique-t-elle. Les bulbes plantés en 2021 vont en effet générer des bulbilles qui, une fois replantés, donneront de nouvelles fleurs.

Le crocus à safran, plante idéale pour la culture en ville

BienÉlevées n’en est pas à son coup d’essai avec sa safranière lyonnaise. Fondée par quatre sœurs - Amela, Louise, Philippine et Bérengère du Bessey - la Maison d’agriculture urbaine possède sept autres terrasses à safran dans Paris. C’est l’aînée, Amela, qui la première a mené des expérimentations sur des terres familiales, avant de constater que des bulbes plantés sur son balcon dans la capitale poussaient particulièrement bien. Les quatre sœurs ont commencé leur projet grandeur nature à l’Institut du monde arabe, avec une première récolte réalisée à l’automne 2018. «Le crocus à safran a besoin d’une terre drainante et d’un bon ensoleillement, mais à part cela, c’est une plante robuste, parfaite pour la culture en ville», explique la responsable de la safranière de la Part-Dieu. De fait, la culture des bulbes s’est réalisée avec une installation low-tech : pas d’irrigation ni d’électricité, d’engrais ou de nutriments ajoutés. Les crocus poussent sans aide extérieure, pas même d’arrosage puisque l’eau de pluie suffit aux besoins des fleurs. Les deux terrasses servant à la production ont été intégralement recouvertes de substrat, sur 30 cm, qui permet aux crocus de bien se développer. Les bulbes, bio et achetés à un producteur du Doubs, ont ensuite été plantés en août. Le crocus à safran a aussi besoin d’écarts de température, avec un été chaud et un automne froid, pour déclencher sa floraison, critère que respecte la capitale des Gaules.

Hormis une humidité excessive qui peut mener à de la pourriture, le crocus à safran a peu d’ennemis. «Les rongeurs ont tendance à attaquer les plantes, mais nous sommes en hauteur, ce qui limite ce risque. Il peut aussi y avoir des champignons qui se répandent sur les bulbes, mais nous avons fait attention et lors de la plantation, ils étaient tous sains», résume Amélie de François. Le choix des cinquième et sixième étage du centre commercial de la Part-Dieu est stratégique : il permet d’éviter la contamination de la plantation par les polluants présents en ville qui se concentrent généralement au sol et ne montent pas plus haut que les premiers étages. La production sera tout de même testée une fois la maturation terminée. En outre, les deux terrasses sur lesquelles sont plantés les crocus sont particulièrement exposées au vent, ce brassage de l’air jouant en faveur de la plante. Enfin, l’installation de la safranière dans ce milieu urbain apporte une plus-value écologique. «Pour la biodiversité, réaliser un couvert végétal d’une surface urbaine est toujours intéressant, la végétalisation permet de faire baisser la température. Nous avons aussi vu des insectes et notamment des abeilles venir profiter des crocus à safran, qui sont souvent les dernières fleurs de la saison», note Amélie de François.

Un safran de qualité premium

Après avoir été cueillis, les crocus à safran ont été émondés à la main par Amélie de François. Durant l’opération, la responsable de la safranière veille à conserver les trois stigmates de chaque fleur. «Garder les trois brins ensemble n’influe pas sur les propriétés du safran, mais c’est un gage de qualité par rapport à la fraude, très présente sur le marché», explique-t-elle. En effet, le safran est une des épices les plus contrefaites. Chaque année, environ 300 t de safran sont produites dans le monde (en comptant à la fois les poudres et les stigmates). La demande dépassant l’offre, il n’est pas rare de trouver du faux safran sur le marché : outre l’ajout d’épices comme du curcuma dans les poudres, il arrive aussi que des pistils d’autres fleurs soient mélangés avec ceux du crocus à safran lorsque ce dernier est vendu sous cette forme.

Pour se retrouver sur le marché, il existe une classification internationale des qualités du safran, la norme Iso 3632. L’or rouge est ainsi divisé en quatre catégories, la 1 étant la meilleure et la 4 la plus faible. Ce classement se base sur l’analyse de trois molécules présentes dans le safran : la picrocrocine pour la saveur, la crocine pour la couleur et le safranal pour le parfum. Pour entrer dans la catégorie 1, le safran lyonnais de BienÉlevées doit avoir une certaine concentration de ces trois molécules. Pour ce faire, les stigmates de safran sont d’abord séchés pendant plusieurs heures, à une température oscillante entre 30 et 40°C. Amélie de François les place ensuite dans des pots hermétiques pour les faire maturer : c’est durant cette période que les arômes et la saveur du safran se développent. «Il faut éviter tout contact avec l’air ainsi que l’exposition à la lumière, car les molécules du safran sont très volatiles», souligne la responsable de la safranière.

Début décembre, l’ingénieure agronome commençait à avoir des stigmates au parfum intéressant, mais pas encore prêts à être vendus. La commercialisation du safran devrait commencer ce début 2022. Les stigmates seront vendus dans des contenants de 0,1 g, au prix de 6,50 €. «Une telle dose est suffisante pour parfumer un risotto pour six ou sept personnes», assure Amélie de François. Pour conditionner le safran, la Maison d’agriculture urbaine BienÉlevées compte faire appel à des travailleurs d’un Esat (établissement et service d’aide par le travail) local. Si une partie de la production est destinée aux particuliers, le safran sera également commercialisé auprès des professionnels, très friands du produit. Les 68 restaurants lyonnais membres du Collège culinaire de France, dont BienÉlevées fait également partie, risquent d’être fortement intéressés par cet or rouge cultivé à domicile.

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