D'autres images du monde agricole
Le festival Cinéma du réel vient d'achever sa 44e édition. Ces films documentaires du monde entier posent un regard actuel sur l'activité agricole et le rapport à la nature.
![Le festival Cinéma du Réel vient d'achever sa 44e édition.](https://www.oise-agricole.fr/reussir/photos/60/img/IDUHZLLP1_web.jpg)
Qu'est-ce qu'un film documentaire ? Le contraire d'un reportage télévisé qui bâcle son sujet en deux minutes et trois interviews, avec la voix off d'un commentaire simpliste et moralisateur ; ou pire encore, la vidéo téléphonique qui fait le buzz sur Facebook ou TikTok.
Le documentaire de création n'utilise pas ces ficelles du prêt-à-penser et dure parfois plusieurs heures, tel Les Voix croisées, 122 minutes sur une coopérative agricole fondée au Mali en 1977 par des travailleurs immigrés d'Afrique de l'Ouest. Le documentaire prend le temps de regarder vivre des personnes dans leur environnement, le temps de les écouter. Il offre une vraie rencontre au spectateur. Pas de commentaire directif, peu d'interviews, plutôt des confidences et une parole libre, lors de plans longs qui vous donnent l'impression de voyager, de découvrir par vous-même une situation réelle, complexe et passionnante.
Depuis sa création en 1975, le festival Cinéma du réel se consacre à des thèmes de société. Reconnaissons que l'agriculture et l'élevage intéressent peu les réalisateurs français. Le rapport à la nature est abordé dans le film Merle noir, qui met en scène un ermite enregistrant le chant des oiseaux en Lozère. Le film Langue des oiseaux imagine, après une vaste extinction animale, le travail de «traducteurs d'oiseaux» qui s'ingénient à retrouver le langage disparu, à renouer un dialogue entre les espèces. Nachlied, de Baptiste Pinteaux, raconte l'histoire d'une femme âgée qui choisit de vivre seule dans la nature.
La sélection internationale montre davantage d'intérêt pour la production des nourritures. Taïwan présente The Raw and the cooked (le cru et le cuit) sur la chasse aux escargots chez une ethnie aborigène. Seas of Thirst (mers de soif) analyse une grave sécheresse en Égypte. Le film sénégalais Fad Jal évoque aussi la sécheresse et la difficulté d'exploiter les terres, que le gouvernement s'approprie désormais.
Nnuba (Kabylie) décrit une organisation féminine pour faire paître le bétail à tour de rôle. Dans ma tête un rond-point (Algérie) révèle le quotidien des ouvriers dans le plus grand abattoir d'Alger. El Gort (Tunisie) observe deux jeunes Tunisiens qui travaillent dans le commerce du foin, durant des journées interminables. Sans terre (Brésil) présente des familles de paysans sur les propriétés d'une usine de canne à sucre en faillite.
D'où vient ce que l'on mange ? Le film anglo-espagnol Agrilogistics traverse des serres robotisées en Espagne. Sans une parole ni un visage humain : on ne voit que de rares mains gantées de plastique bleu, affectées à l'entretien et au graissage d'une machine, et le robot repart, infatigable. Des bras trieurs d'une précision et d'une rapidité effarantes rangent des bulbes tandis qu'un ordinateur affiche le rendement : 3.327 plantes à l'heure.
Les robots picorent avec la frénésie d'une poule mécanique. Dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1936), le travail à la chaîne submerge les ouvriers ; en 2022, plus le moindre humain, la machine règne en silence. On pourrait presque imaginer que le film s'est réalisé automatiquement, avec les caméras de surveillance. Dans le gris acier des serres, seul le végétal apporte une note colorée - rouge, les tomates. Un instant, l'on croit apercevoir un minuscule humain, au loin, pilotant un chariot ; sans doute une illusion.
D'autres chariots totalement autonomes glissent sans personne pour les conduire, entre des plants de tomate cultivés en hydroponie, à l'infini. Tels d'étranges insectes, les robots cueillent avec une infinie délicatesse. Les contrôles qualité sont impeccables, capteurs, écrans et intelligence artificielle à l'appui. La caméra avance dans les hectares d'acier et de technologie de l'usine à tomates. La nuit, l'errance devient fantomatique avec des travellings dans ce même paysage d'une agriculture non humaine. Un oiseau prisonnier des serres tente de fuir, en vain. Les 21 minutes du film s'achèvent et l'on n'a toujours pas aperçu ni entendu le moindre visage humain.
À l'opposé de cette technologie extraterrestre, Mangrove school explore avec lenteur l'étrange vie aquatique de la mangrove, ce milieu naturel entre jungle et eau, en Guinée Bissau. Les humains doivent apprendre à se déplacer d'un tronc à l'autre, à consolider un refuge de branches avec des feuilles, l'ingéniosité des pieds et des mains avec pour seul outil la machette. Cet entrelacs végétal est une école où les enfants écrivent sur leurs cahiers. Le film rappelle l'époque des bombardements de l'armée coloniale portugaise, la mangrove où se réfugiait la population. Une ingénieuse agriculture est pratiquée dans des bassins d'eau de pluie, non salée. Ce film semble témoigner d'une vie préhistorique - comment les humains du Néolithique construisaient-ils leurs abris ? Tout en étant futuriste, car l'on imagine la montée des océans provoquée par le réchauffement climatique. Comment vivre dans la nature, de la nature, les pieds et les jambes dans l'eau ? Ces habitants y parviennent.
Pour visionner les films après le festival, www.on-tenk.com en reprend certains, d'autres sortent en salle, ou bien se retrouveront sur les écrans des chaînes telles que Arte.
Le documentaire est un passionnant voyage, un regard partagé qui aide à comprendre le monde actuel et la diversité des situations humaines.
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