L'Oise Agricole 31 mars 2022 a 09h00 | Par A.G.

Bruxelles veut prévenir la crise sans affaiblir le Green deal

Assurer la sécurité alimentaire mondiale, limiter l’envolée des prix sur le marché intérieur, préserver le secteur agricole, le tout sans remettre en cause les objectifs environnementaux fixés par le Green deal. C’est l’objectif de la communication sur la sécurité alimentaire publiée le 23 mars par la Commission européenne pour faire face aux conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine.

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Parmi les mesures, la possibilité d’utiliser des jachères pour n’importe quelle culture.
Parmi les mesures, la possibilité d’utiliser des jachères pour n’importe quelle culture. - © Pascal Xicluna / agriculture.gouv.fr

La Commission européenne a présenté, comme attendu, le 23 mars, un ensemble de mesures pour répondre aux questions de sécurité alimentaire posées par l’invasion russe de l’Ukraine. Le dispositif se divise en trois grandes parties : des mesures pour soutenir directement l’Ukraine et ses agriculteurs ainsi que pour agir au niveau international, des actions de court terme sur le secteur agricole de l’UE afin de limiter la hausse des prix et, enfin, des actions de plus long terme, notamment pour réduire la dépendance du secteur agricole vis-à-vis des engrais. Un dispositif, promet la Commission, qui ne remet pas en cause les objectifs du Green deal. Dans l’UE, un paquet de mesures, financé en partie par les fonds de la réserve de crise agricole, prévoit : 500 millions d’euros d’aides réparties entre les États membres, un soutien au stockage privé de viande porcine, des avances sur les paiements de la Pac, un nouveau cadre facilitant l’octroi d’aides d’État, une tolérance sur les limites maximales de résidus pour faciliter l’importation d’alimentation animale et la possibilité d’utiliser les jachères pour n’importe quelles cultures. Mais la Commission assure également que l’UE est largement autosuffisante en ce qui concerne la plupart des produits agricoles clés, notamment les céréales et les pro- duits animaux même si l’invasion de l’Ukraine met en évidence certaines faiblesses : «Notre dépendance à l’égard des importations d’énergie, d’engrais et d’aliments pour animaux.» Le texte souligne le rôle «fondamental» de l’UE – qui n’est pas seulement un exportateur net de blé, mais qui a aussi les rendements les plus élevés au monde – pour combler le déficit de production et faire face à la pénurie mondiale de blé attendue. Mais, prévient aussi la Commission européenne, la crise actuelle confirme la nécessité d’une réorientation fondamentale de l’agriculture et des systèmes alimentaires de l’UE vers la durabilité, conformément au Green deal et à la réforme de la Pac.

Aide d’urgence de 500 millions E

La Commission européenne a décidé de débloquer une aide d’urgence de 500 millions d’euros répartis en enveloppes nationales (89 Mio pour la France, 64 pour l’Espagne, 45 pour la Pologne...). L’acte délégué précise que cette enveloppe pourra «exceptionnellement» être cofinancée par des soutiens supplémentaires des États membres à hauteur de 200 % maximum «compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle». Ce qui porterait potentiellement le montant global de ces aides à 1,5 milliard d’euros. Sur les 500 millions d’euros débloqués par Bruxelles, 350 proviendraient de la réserve de crise agricole. Les aides, précise le projet de texte, devront soutenir des «mesures qui contribuent à la sécurité alimentaire ou à remédier aux déséquilibres du marché». Les agriculteurs pourront en bénéficier à condition qu’ils s’engagent dans une ou plusieurs des activités suivantes : économie circulaire, gestion des nutriments, utilisation efficace des ressources et méthodes de production respectueuses de l’environnement et du climat. La Commission va également autoriser les États membres à verser aux agriculteurs des niveaux accrus d’avances sur les paiements directs et les mesures de développement rural de la Pac à compter du 16 octobre 2022.

Cultiver les jachères en 2022... au moins

Dans un autre règlement, la Commission européenne précise les détails de sa mesure visant à autoriser l’utilisation des jachères pour la production de fourrage notamment. Le dispositif n’est pas, comme initialement envisagé, limité à la production de protéagineux. Le texte indique qu’afin «de permettre aux agriculteurs d’utiliser autant que possible leurs superficies disponibles pour la production de denrées alimentaires et d’alimentation animale, il convient d’autoriser les États membres à déroger aux conditions relatives au paiement pour le verdissement, y compris l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, pour l’année de demande 2022, en ce qui concerne les terres en jachère» qu’elles relèvent de la diversification des cultures ou des surfaces d’intérêt écologique (SIE). Ces dérogations seront limitées à l’année de demande 2022 et devront remédier à l’incidence du conflit en Ukraine sur l’offre et la demande de produits agricoles. Bruxelles estime qu’environ 4,5 Mio ha pourraient être ainsi mobilisés dans l’UE. «Il s’agit d’une mesure exceptionnelle et temporaire», a insisté le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis. «Nous verrons si la mesure est utile en 2023», a toutefois ajouté Janusz Wojciechowski.

Porc : un dispositif d’aide au stockage

La Commission européenne a aussi fini par adopter un dispositif d’aide au stockage privé de viande porcine pour une période de 60, 90, 120 ou 150 jours à partir du 25 mars. Une aide d’un montant variable sera accordée selon les morceaux concernés et la durée du stockage (270 E/t pour les demi-carcasses stockées 60 jours, 423 E/t pour les jambons stockés 150 jours par exemple). Les demandes pourront être déposées jusqu’au 29 avril. Pour justifier cette décision, demandée depuis plusieurs mois par certains États membres, la Commission européenne cite : le grave ralentissement des exportations vers la Chine, la propagation de la peste porcine africaine et l’impact des restrictions imposées par la pandémie de Covid-19, auxquels se sont ajoutées les perturbations supplémentaires causées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie faisant chuter la demande d’exportation de certains produits à base de viande porcine. Mais le marché de celle-ci se redresse depuis déjà quelques semaines. Plusieurs États membres (Allemagne, Pologne, Danemark) ont donc déjà indiqué qu’ils n’auraient pas recours au dispositif.

La réserve de crise et des aides d’État

Pour la première fois depuis sa mise en place, la réserve de crise agricole de 497 millions d’euros (constituée chaque année par une ponction sur les paiements directs de la Pac) sera mobilisee pour financer ces mesures. La Commission européenne présentera au Parlement européen et au Conseil une proposition de transfert de la réserve vers les lignes budgétaires finançant les dispositifs de soutien qui ne pourront donc s’appliquer qu’une fois que les colégislateurs l’auront approuvée.

Comme durant la pandémie de Covid-19, la Commission européenne va permettre aux États membres de remédier aux graves perturbations économiques résultant de la guerre en Ukraine avec un nouveau cadre temporaire plus souple pour encadrer les aides d’État. Il pourrait par exemple s’agir d’aides aux agriculteurs touchés par des augmentations importantes du coût des intrants (en particulier les aliments pour animaux et les engrais) ou aux entreprises grandes consommatrices d’énergie (telles que les fabricants d’engrais), cite le texte de la communication.

Limites maximales de résidus, stocks et TVA

Pour faciliter l’achat par les producteurs de bétail de sources d’approvisionnement alternatives, la Commission européenne va accorder un assouplissement, sur une base temporaire, de certaines exigences d’importation existantes en matière de résidus de pesticides. Cela concerne principalement les importations d’aliments pour animaux (maïs surtout) en provenance d’Amérique du Sud. Les États membres devront toutefois s’assurer que ces produits restent dans l’alimentation animale et ne se retrouvent pas sur le marché de l’alimentation humaine.

La Commission propose de renforcer le dispositif en place depuis la pandémie de Covid-19 qui impose aux États membres de communiquer chaque mois des données sur les stocks privés de produits essentiels pour l’alimentation humaine et animale afin d’avoir une vue d’ensemble rapide et précise de leur disponibilité. Elle rappelle aussi que l’alimentation, les engrais ou l’énergie peuvent bénéficier de taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduits à zéro afin de faire baisser le coût pour les consommateurs.

Engrais, biocarburants et Hongrie

Le ministre de l’Agriculture des Pays-Bas a demandé à l’occasion de la réunion du Conseil Agriculture du 21 mars à la Commission européenne d’envisager des dérogations pour permettre l’application d’engrais avec des nutriments récupérés du fumier pour une période minimale de huit ans. À moyen ou long terme, ils souhaitent que cette dérogation soit incluse en tant qu’amendement dans la directive Nitrates.

La Commission assure qu’elle étudie la question et va évaluer ce qui est faisable en la matière dans le cadre de groupes de travail dédiés. La Commission indique qu’elle soutient les États membres qui voudraient réduire la proportion de mélange des biocarburants. «Cela conduirait à une réduction des terres agricoles de l’UE utilisées pour la production de matières premières destinées aux biocarburants pour les orienter plutôt vers la production alimentaire», justifie Bruxelles.

Enfin, la Commission européenne appelle les États membres à ne pas restreindre leurs exportations de produits alimentaires comme vient de le faire la Hongrie pour les céréales et les oléagineux. Une lettre a été adressée par la Commission à Budapest pour lui demander de lever ces mesures «inacceptables».

Le Green deal reste la solution

Ces mesures d’urgence de court terme sont essentielles, «mais elles ne remplacent pas l’importance de réorienter le secteur agroalimentaire vers la durabilité et la résilience afin de mieux faire face aux crises futures», a prévenu Valdis Dombrovskis. Parmi les solutions déjà à l’étude dans ce cadre : de nouvelles règles pour faciliter la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives biologiques et la simplification des procédures d’autorisation des nouvelles techniques génomiques (moins sensibles aux menaces climatiques, plus résistantes aux parasites...).

Enfin, les États membres sont encouragés à : assurer un suivi et une analyse réguliers des prix des denrées alimentaires et de l’insécurité alimentaire en coordination avec d’autres acteurs mondiaux ; continuer de soutenir les pays dans la transformation vers des systèmes agricoles et alimentaires résilients et durables ; intensifier l’aide humanitaire aux régions et aux groupes de population les plus touchés par l’insécurité alimentaire ; et plaider, dans les forums internationaux pour éviter les restrictions et les interdictions d’exportation.

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