Bruxelles tente de défendre son Green deal
Les deux règlements sur la restauration de la nature et l’utilisation durable des pesticides qui doivent être présentés le 23 mars sont sous le feu des critiques des organisations agricoles qui craignent pour la sécurité alimentaire de l’UE menacée par le conflit en Ukraine.
«Ce serait une erreur historique de dire que le conflit en Ukraine doit enterrer le Green deal. Au contraire, cela doit nous permettre d’être indépendant énergétiquement de Poutine», a affirmé Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne en charge du Green deal lors de son intervention devant la commission de l’Environnement du Parlement européen le 7 mars. Et en ce qui concerne l’agriculture, alors que les ministres des Vingt-sept ont demandé à Bruxelles de mettre en pause les nouveaux objectifs environnementaux, Frans Timmermans s’est également montré très ferme : «S’il vous plaît, ne croyez pas à l’illusion qu’on aiderait le secteur en renonçant à la stratégie De la ferme à la table. Cette crise nous montre au contraire que nous avons besoin de réduire notre dépendance aux engrais. La stratégie De la ferme à la table est une part de la réponse et non du problème.» Lors de la réunion des experts des États membres du comité spécial Agriculture, le 7 mars, plusieurs délégations avaient une nouvelle fois exprimé des doutes quant à la possibilité d’atteindre les objectifs du Green deal au motif que ces objectifs ambitieux pourraient nuire davantage à la capacité de l’UE à produire des denrées alimentaires. «Nous ne pouvons pas négliger une crise (climatique ou d’extinction de la biodiversité) pour en résoudre une autre», répond Frans Timmermans.
Plus d’autres propositions
Pourtant, le groupe démocrate-chrétien (PPE) au Parlement européen demande, lui, à la Commission européenne «d’éviter de présenter d’autres propositions législatives qui ont des impacts négatifs sur la sécurité alimentaire européenne», visant clairement les propositions sur l’utilisation durable des pesticides et la restauration de la nature qui seront présentées le 23 mars en même temps qu’une communication sur la sécurité alimentaire.
Le think tank bruxellois Farm Europe a, lui aussi, réclamé, le 7 mars, une révision des stratégies De la ferme à la table et Biodiversité de la Commission, au motif que les propositions «vont à l’encontre de notre souveraineté alimentaire et de la sécurité alimentaire mondiale». D’autres, au contraire, défendent les propositions de la Commission européenne. La coordination européenne Via campesina réaffirme, dans une note du 9 mars, son soutien aux objectifs de la stratégie De la ferme à la table «et appelle à redoubler d’engagement pour doter cette stratégie d’instruments de politique publique et faciliter la transition nécessaire vers des modèles agricoles et d’élevage plus résilients et moins dépendants des intrants importés». L’ambition des propositions qui seront mises sur la table le 23 mars par la Commission européenne dira quelle orientation a été choisie.
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA
«Replacer la production au coeur du projet agricole européen»
Le chef de l’État disait en mars 2020 que la souveraineté alimentaire était indispensable pour notre pays. Deux ans après, où en est concrètement cette souveraineté ? Est-elle encore en construction ? Quelles avancées voyez-vous ?
Depuis deux ans, la crise ukrainienne est venue s’ajouter à la crise sanitaire. Les leçons à en tirer sont identiques parce que la prise de conscience issue de la pandémie de Covid s’est renforcée à l’aune de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les besoins vitaux que sont : se soigner, se nourrir, créer des richesses et les partager sont redevenus indispensables. Ce n’est que par l’acte de production que l’on peut créer de la valeur ajoutée, de la richesse. Le Haut-commissaire au Plan, François Bayrou, l’a d’ailleurs rappelé à de nombreuses reprises. À la FNSEA, bien avant la survenue de ces crises, nous l’avions martelé, en particulier lors des États généraux de l’agriculture de 2014 avec Xavier Beulin qui avaient mis en avant la nécessité de reconquérir quatre champs d’action pour consolider notre modèle agricole : la compétitivité de nos exploitations et de nos filières, la transition (agroécologique), la simplification (législative et administrative) et l’attractivité de nos métiers. La crise ukrainienne rebat des cartes géostratégiques et alimentaires de l’ensemble de la planète.
Sur quels points, dans quels domaines faudrait-il porter l’effort au plan français et européen ?
Sous la pression de la FNSEA et du Copa, nous avons réussi à consolider le budget de la Pac dont les premiers éléments montraient une baisse de 15 % sur le premier pilier et de 25 % sur le second. L’agriculture est aujourd’hui reconnue comme un secteur stratégique sur un même pied d’égalité avec l’aéronautique, l’automobile, le luxe… Elle doit assurer deux missions cruciales : d’une part, nourrir la population française et européenne y compris les plus précaires, mais aussi apporter de l’aide aux pays qui sont structurellement importateurs nets de denrées agricoles de base comme le blé. D’autre part, il faut accroître notre souveraineté énergétique grâce aux énergies renouvelables. Dans cette guerre qui sévit sur le continent européen aux portes de l’Union européenne, nous devons contrebalancer le trésor de guerre que la Russie de Vladimir Poutine s’est constitué depuis 2014. Il nous faut à tout prix, en France et en Europe, sortir de cette juxtaposition de dépendances qui met à mal notre économie. C’est d’ailleurs le sens de la déclaration du président Macron à l’issue du Sommet de Versailles le 11 mars.
Comment les agriculteurs peuvent-ils concrètement concilier souveraineté alimentaire et lutte contre le réchauffement climatique alors même que les défis géopolitiques sont devenus plus prégnants ? N’y a-t-il pas une priorité qui s’impose d’elle-même ? Comment utiliser tout le potentiel de production agricole européen ?
Nous avons deux défis à relever : celui de l’alimentation et celui de la lutte contre le changement climatique. Aucun des deux ne peuvent être mis au second plan. Le plan de relance français et son alter-ego européen ont montré la volonté de placer l’agriculture parmi les secteurs stratégiques. En outre, la France met en place un plan de résilience. L’Europe doit suivre le mouvement en reposant clairement la question de ses objectifs stratégiques.
Lesquels ?
Celui de Farm et Fork et de la Biodiversité 2030. En effet, ces deux stratégies ont été conçues avant les deux crises superposées que nous traversons. Les références ne sont plus les mêmes. Il convient de les adapter. Six études (notamment des États-Unis, de Vageningen aux Pays-Bas, ndlr) ont alerté sur les dangers de ces deux objectifs, en particulier Farm to Fork : baisse de la production agricole, baisse des exportations, hausse des importations et donc un bilan carbone, chute du revenu agricole… C’est un non-sens total. Il faut revoir la copie. Pour notre part à la FNSEA et au Copa, nous militons pour une croissance durable pour faire face aux enjeux que constituent en particulier la croissance démographique, l’ambition «Faim zéro» qui est un des objectifs de développement durable de l’ONU et, bien entendu, notre souveraineté. Il est possible de produire plus et mieux avec moins d’impact sur notre environnement grâce à la troisième révolution agricole qui s’appuiera sur le numérique, la robotique, la génétique. Je suis toujours étonnée des clivages que suscite, par exemple, le débat sur les New Breeding Techniques (NBT) en France quand cette technique est utilisée dans les pays nordiques. Il faut, je pense, que nos stratégies et les politiques qui en découlent soient frappées du coin du pragmatisme. Enfin, qu’on arrête de surtransposer en France. Il faut replacer l’activité de la production au coeur du projet agricole européen. À marché unique, il faut des règles uniques.
Après Niort en septembre dernier, vous allez réunir votre 76e congrès à Besançon. Quel en sera le thème majeur ?
Ce sera clairement «la souveraineté : mode d’emploi». Avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine, il faut «passer la surmultipliée», même si nous avons tous conscience que le temps est un facteur déterminant pour changer les politiques. La Covid et le conflit russo-ukrainien ont fait prendre conscience de sortir autant que faire se peut de nos dépendances. Il convient donc que les candidats à l’élection présidentielle que nous recevrons (dont la liste est encore à déterminer où nous écrivons ces lignes, ndlr) s’engagent à consolider les plans de relance et de résilience, mais aussi à relocaliser l’agriculture et nos industries agroalimentaires. Comme l’a récemment rappelé un de nos interlocuteurs représentant la filière gaz, «il faut libérer le potentiel de production du gaz vert», en particulier celui produit par l’agriculture. C’est avec le développement de cette croissance durable, qui permettra de sécuriser les revenus agricoles que nous pourrons également rendre notre métier plus attractif et assurer le renouvellement des générations.
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