Au gré de la pousse de l'herbe
Émeric Drouot et Viviane sa compagne sont éleveurs-bergers herbassiers, c'est-à-dire que leur troupeau d'ovins vit toute l'année dehors et se déplace au gré des saisons, des régions, des parcelles pour trouver de l'herbe.
En plaine de Lyon, des moutons pâturent tranquillement l'herbe autour de l'aérodrome de Corbas. Ils ne semblent pas dérangés par les avions qui décollent et les bruits de la ville toute proche. Habitués sans doute à s'adapter à différents contextes. Et c'est peu de le dire puisque leurs «patrons», Émeric Drouot et Viviane sa compagne, leur font voir du pays. Ils sont en effet herbassiers, c'est-à-dire éleveurs-bergers itinérants.
Cette façon de travailler n'a pas toujours été la leur. En effet, même si Émeric Drouot a suivi une formation agricole, il a d'abord exercé le métier de botaniste avant d'engager une reconversion professionnelle en 2003. «J'ai quitté mon travail pour m'installer en tant qu'éleveur dans les Hautes-Alpes, pour créer une exploitation de A à Z car au fond de moi, j'ai toujours eu cette envie», raconte l'herbassier qui a commencé sa vie d'agriculteur par l'élevage de volailles et de moutons en agriculture biologique et 100 % en vente directe. «Le chemin n'a pas été sans encombre puisque la volaille était considérée comme une production atypique dans les Hautes-Alpes. N'étant pas originaire de la région non plus, il n'a pas été simple d'être acceptés par nos voisins. Nous avons dû réaliser de nombreux investissements pour diverses mises aux normes, la construction d'une bergerie et les banques ne nous ont pas suivis au début de l'installation. Au bout de quelques années, nous sommes parvenus à nous faire une place dans le milieu et par être reconnus par nos pairs...», poursuit l'éleveur.
Transhumance inverse
Puis, suite à des problèmes sanitaires sur le troupeau et une volonté de réduire considérablement les achats d'intrants pour nourrir les animaux, Émeric a souhaité expérimenter la transhumance inverse en 2009. C'est-à-dire que les ovins quittent la montagne pour aller pâturer vers les plaines périphériques pendant l'hiver. «J'ai testé ce système en mettant deux hivers consécutifs mes animaux en pension en zones de plaine dans le Vaucluse et en Drôme provençale avant de les faire revenir sur le siège de notre exploitation, qui est désormais en Haute-Savoie, au printemps. L'expérience a été concluante au niveau autonomie fourragère et sanitairement parlant. Cela répond aussi à mes convictions personnelles, c'est-à-dire de permettre aux animaux de revenir à des cycles plus naturels. Aussi dès 2012, j'ai trouvé assez de terrains pour faire pâturer mes brebis à 100 % toute l'année en extérieur et nous avons notre propre alpage en Haute-Savoie depuis 2014. Au départ, j'employais un berger toute l'année puis j'arrive désormais à m'en passer. Après le démontagnage, généralement courant octobre, nous devons trouver des terrains en plaine. Avant d'arriver à Corbas où des parcelles nous sont mises à disposition par l'aérodrome et par des céréaliers depuis 2017, cet l'automne, suite à la sécheresse estivale, nous avons été à Loriol (Drôme), Valréas (Vaucluse) et Septème (Isère). Mon réseau de parcelles continue à se développer, notamment grâce au bouche-à-oreille. À la mi-mars, nous irons un mois vers Roussillon (Drôme).»
Sensation de liberté
L'éleveur élève actuellement environ 400 mères en races mourerous et merinos, deux races rustiques. Des agneaux sont aussi achetés chaque année pour l'engraissement. La viande est la production principale, elle est écoulée en vente directe. «Depuis l'an dernier, nous faisons transformer la laine en Haute-Loire et dans les Hautes-Alpes pour la vendre en direct (couettes, oreillers, articles en feutre et pelotes de laine)», complète Viviane. Depuis 2015, Émeric a fait le choix de ne bénéficier d'aucune subvention (Pac...) et de ne plus être certifié bio. «C'est le prix à payer en échange d'une certaine liberté», commente-t-il. Un modèle d'exploitation atypique qui n'est pas exempt de contraintes classiques. «Comme n'importe quel éleveur, la sécheresse nous impacte fortement ; ici, par exemple, sur la plaine de l'Est lyonnais, les sols sont séchants, l'herbe n'a pas poussé autant que souhaité», ajoute l'herbassier. Viviane et Émeric constatent eux aussi le gouffre qui existe entre le monde agricole et la société. «On a parfois affaire à des personnes agressives et irrespectueuses. Certains s'introduisent sur les parcelles pour voir les agneaux de plus près ou caresser les patous, même si on leur dit que ce n'est pas possible. D'autres nous insultent, voire nous volent. Nous envisageons de mettre des panneaux le long des parcs à moutons pour expliquer aux passants la conduite à tenir et pour communiquer sur nos pratiques», indique Viviane. Et de poursuivre : «avec cette conduite en itinérance 365 jours sur 365, nous avons une vie de nomade sans ancrage qui nous demande d'avoir nos richesses à l'intérieur de nous, de savoir créer du lien rapidement et de composer avec des rencontres presque éphémères. Mais nous sommes heureux d'entendre les gens dire qu'ils ont aimé voir le troupeau paisible près de chez eux quelque temps...».
Un système d'élevage spécialisé
En France, on trouve quelques herbassiers, aussi appelés bergers sans terre, dans le Sud-Est de la France. Ce système est localisé en zone de plaine, essentiellement dans les basses vallées de la Durance, du Rhône, à l'Ouest du département des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse. Il s'agit d'un système d'élevage spécialisé, fondé sur la pâture tout au long de l'année de surfaces herbagères et pastorales variées des plaines et des collines avoisinantes, des pelouses alpines où les troupeaux transhument systématiquement en été. Dans ce type d'exploitation, l'accès au foncier reste précaire. Il repose sur des échanges gagnant-gagnant, des achats d'herbe sur pied ou des locations de places d'herbe plus ou moins pérennes autour d'un noyau de quelques dizaines d'hectares en propriété ou en fermage à bail.
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